Le Hellfest : un sacré festival ?

Musique

Don-vipTravail personnel - Le Hellfest en 2022, vu de la grande-roue.

The Conversation

Le Hellfest : un sacré festival ?

Nico Didry, Université Grenoble Alpes (UGA)

C’est officiel : en France, la saison des festivals de l’été est ouverte.

Le Hellfest Open Air est devenu en 16 ans l’un des plus grands festivals de musique « metal » d’Europe, accueillant près de 200 000 festivaliers en 2023. C’est aussi et surtout le rendez-vous annuel de la communauté metal (les metalheads qui se retrouve mi-juin chaque année à Clisson à quelques kilomètres de Nantes pour écouter leurs artistes favoris dont des groupes mythiques tels que Kiss, Metallica, Deep Purple, Motorhead, etc.

Un pèlerinage auquel tous les fans n’ont pas la possibilité de participer. Les places pour le festival sont en effet vendues en quelques heures dès l’ouverture de la billetterie, mi-octobre, alors que la programmation n’est pas encore annoncée. Cette rareté augmente la valeur perçue de l’expérience du festival, et de fait sa dimension exceptionnelle voire sacrée.

Un festival de plus en plus populaire

Ainsi, ce rite annuel est devenu un mythe, si bien que sa notoriété mais aussi son image ont fortement évolué ces dernières années. Non seulement le Hellfest n’a plus cette image de rassemblement de satanistes que certaines associations ont voulu lui attribuer, mais pour certains, il est même devenu « the place to be ».

Il attire ainsi un public de plus en plus large comme le montrent les récentes études de Corentin Charbonnier et de Christophe Guibert et notamment des nouveaux festivaliers n’appartenant pas à la communauté « core » (au sens de noyau) metal.

Or, les codes communautaires très forts présents au Hellfest en font un festival à part. Les codes sociaux, les normes, la manière de communiquer, de se comporter, de vivre l’événement (ce qu’on appelle en marketing les logiques de consommation) observés lors d’une étude ethnographique pendant l’édition 2022 montrent qu’ils sont sensiblement différents de ceux observés dans d’autres festivals de musique lors d’autres études que j’ai pu mener (Musilac, Paléo Festival, Tomorrowland, Jazz à Vienne, etc.).

Se pose alors la question de l’acculturation de ces nouveaux entrants dans la communauté du Hellfest – à défaut de l’être dans la communauté metal – afin de ne pas dénaturer la particularité de ce festival aux codes bien ancrés et respectés. Même si les observations montrent une forte appropriation des règles et normes sociales par les novices, certains comportements importés par les festivaliers « mainstream » peuvent transformer l’expérience spécifique Hellfest.

Un rituel sacré aux codes spécifiques

Même si des différences sont observables en fonction des scènes (donc des styles de musique), au Hellfest l’expression des émotions, très codifiée, se fait par la voix (cris gutturaux) mais surtout par la posture.

Horns up, le symbole des metalheads/Hellfest 2022. Nico Didry

Soit en levant le poing, index et auriculaire levés, (le « horns up », symbole de l’appartenance à la communauté) soit en hochant la tête plus ou moins fort (« headbanging »), soit en bousculant les autres, (le « pogo »). Martin, habitué du Hellfest, en témoigne : « quand je kiffe, que je suis content, je pousse les autres ». D’une manière générale, il n’y a pas d’intermédiaire entre le headbanging et le pogo : soit le festivalier est statique et bouge uniquement la tête, soit il se déplace en bousculant les autres. Le fait de danser ou sauter sur place – à l’exception des scènes underground, hardcore ou rock celtique – fait moins partie des normes culturelles de la communauté metal que pour d’autres cultures musicales.

Headbanging et densité sociale sur la mainstage du Hellfest 2022.

Alors que les drapeaux nationaux ou régionaux fleurissent et s’agitent de plus en plus dans le public des festivals de musique « grand public », on n’en trouve pas au Hellfest. La revendication d’appartenance territoriale n’est pas de mise ici, c’est à la communauté metal que l’on appartient.

Les tenues sont d’ailleurs soigneusement choisies en fonction des codes de son style de musique préféré (hardcore, death metal, stoner, etc.). Porter le tee-shirt de son groupe préféré, un kilt, ou arborer un look gothique suscite des interactions sociales entre festivaliers fans du même groupe, par exemple. Porter un tee-shirt ou une casquette d’une édition précédente du Hellfest permet aussi de montrer son adhésion à la communauté en marquant son attachement à la marque « Hellfest ».

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Les stands de merchandising sont d’ailleurs pris d’assaut dès le premier jour et il faut parfois attendre plus de 30 minutes pour garder un souvenir de ce pèlerinage. Le soin apporté au choix de la tenue vestimentaire est aussi révélateur de la sacralisation du moment, équivalent de la tenue du dimanche pour la messe. Pour les festivaliers plus âgés (plus de 40 ans), elle est prise très au sérieux. Pour les plus jeunes, des formes plus ludiques apparaissent avec parfois un détournement des codes.

Tenues de festivaliers détournant les codes de la communauté métal au Hellfest 2022. Nico Didry

Le concert, moment de communion

Le concert de metal, c’est du sérieux : on est là pour communier avec l(es) artiste(s) sur scène, profiter à fond de ce moment.

À l’exception du « pit » (la zone du pogo, qui ne concerne que quelques centaines de personnes sur les 30 ou 40 000 présentes pour un concert sur la scène principale), on observe peu d’interactions entre les spectateurs pendant les concerts. Les échanges émotionnels entre spectateurs, riches et nombreux, ont lieu en dehors des scènes.

Le concert s’apparente à un sermon que l’on écoute religieusement en répondant de manière docile et attentionnée aux injonctions des artistes (taper dans les mains, crier, faire un « circle pit », sans prendre d’initiative (ou très peu), contrairement à ce qui peut se produire dans d’autres concerts ou d’autres festivals.

Le metalleux (hormis celui qui décide de « pogoter » devant la scène) n’est pas très proactif. L’étude de la foule montre que la majorité de ses actions sont des réactions aux demandes des artistes. Les mouvements du public du type « taper dans les mains en rythme » s’essoufflent assez vite dès lors que les artistes ne les sollicitent plus. Cette attitude réactive voire peu active diffère des données collectées sur d’autres terrains (électro, pop, jazz…).

L’organisation spatiale du public répond aussi au besoin du spectateur de vivre le moment de manière quasi religieuse. Ainsi la densité sociale du public est faible, même si pour la scène principale, elle augmente sur les 20 mètres devant la scène. Le spectateur n’est donc pas gêné par les autres. Selon Bertrand, habitué du Hellfest : « C’est hyper facile de circuler, c’est comme si on avait mis des points au sol pour chacun des festivaliers, pour qu’il ait sa zone de sécurité ».

Contrairement à ce qui se produit généralement au cours des concerts pop-rock, rap ou encore électro, les portables sont peu dégainés pour filmer le concert. Il se vit dans le présent. Cela s’explique aussi par la moyenne d’âge plus élevée que sur des concerts de rap par exemple. Mais ce n’est pas dans la culture metal, et dès lors que certains festivaliers ne respectent pas les codes, cela perturbe les autres comme le dit Rose lors d’un concert black metal de la scène Temple :

« J’étais devant la scène au 2e rang, et devant moi des gens soit discutaient, soit filmaient, je savais qu’ils n’étaient pas dedans, et cela m’a pourri, ambiance émotionnellement complètement gâchée ».

La « violence bienveillante » du pogo

Le pogo, cette pratique issue du mouvement punk qui consiste à se bousculer par les épaules, se retrouve sur chaque scène (hormis death metal et stoner). Ce sont les festivaliers qui sont dans le « pit » – zone devant la scène – qui s’adonnent à cet échange, ce partage d’émotions qui lui aussi est codifié. Rose, 50 ans, qui aime pogoter, en témoigne :

« Les mecs qui ne partagent pas dans le pogo, c’est des gros connards, ça ne se passe pas bien, tu peux te faire mal, il y a de la violence dans le pogo, mais il y a de la bienveillance, mais les mecs qui sont là pour chercher la baston, ça va pas, et ceux-là ils se font vite sortir ».

Quand quelqu’un tombe ou perd sa chaussure, un cordon de sécurité est directement mis en place par les autres « pogoteurs » pour sécuriser la personne. De plus en plus de femmes s’adonnent à cette danse de contact physique.

Il n’y a d’ailleurs aucune zone tampon entre l’espace des pogoteurs et les autres spectateurs. La rupture est nette entre leur agitation et l’immobilisme du reste des spectateurs, que personne ne vient déranger. Cette « violence bienveillante » est caractéristique des pogos de la scène metal. Cela les différencie des pogos sans codes ni bienveillance que l’on voit apparaître récemment dans des concerts de rock ou de rap, avec des publics plus jeunes et quasi exclusivement masculins.

Avec sa dimension très codifiée, le Hellfest, tel un village gaulois, résiste pour l’heure aux tendances sociétales observées dans les festivals mainstream ou moins communautaires.

Vivre le moment présent, en segmentant les activités (un temps pour échanger, un temps pour communier, etc.) en est un des fondements. La condition du maintien de cette expérience sacrée réside dans le respect de ces codes communautaires « authentiques ».

Les valeurs de partage, de respect des règles et des autres, la solidarité et la bienveillance sont des fondamentaux du festival de metal : une dimension « sacrée » qui en fait toute la singularité.

Nico Didry, Maître de conférences en ethnomarketing, Stratégies Economiques du Sport et du Tourisme, CREG, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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