« Je soutiens la mobilisation contre la réforme des retraites, mais faire grève ne pénaliserait que moi »

Politique

Dans un appel à témoignages lancé par « Le Monde », les non-grévistes assurent « ne pas pouvoir se permettre » de cesser le travail et manifester, évoquant des raisons financières, mais aussi pratiques.

Pour les fêtes de Noël, Thomas restera seul à Rennes. L’ouvrier dans l’industrie automobile devait passer le réveillon avec son frère en Alsace, mais en raison du mouvement de grève contre la réforme des retraites, l’homme de 33 ans n’a trouvé aucun moyen de réaliser le trajet. Il tient d’emblée à faire une mise au point : « Tout cela ne m’empêche pas de soutenir la mobilisation. » Thomas n’a toutefois posé aucun jour de grève, pas plus qu’il n’a défilé dans les manifestations contre la réforme.

Comme lui, alors que la troisième journée interprofessionnelle de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé, mardi 17 décembre, 615 000 manifestants en France, selon le ministère de l’intérieur, des milliers de personnes soutenant la mobilisation ne sont pas descendues dans la rue et n’ont pas cessé de travailler. 

Selon un sondage IFOP publié dimanche 22 décembre par Le JDD, 51 % des Français soutiennent pourtant la grève – ils étaient 46 % le 1er décembre, avant le début du mouvement, et 53 % après la première mobilisation du 5 décembre.

Pour sonder cette France non gréviste mais virulemment opposée à la réforme des retraites, Le Monde a lancé un appel à témoignages, rassemblant des récits de femmes et d’hommes de tout âge, encore étudiant ou retraité, travaillant dans des secteurs variés, allant du privé au public, en passant par l’autoentrepreneuriat. Tous assurent « ne pas pouvoir se permettre » de faire grève, évoquant très souvent des raisons financières, mais aussi pratiques.

« Une période choisie pour monter les uns contre les autres »

En liminaire de leurs explications, de nombreux internautes précisent qu’ils sont, « comme tout le monde », pénalisés par la grève. Odette*, traductrice à la retraite âgée de 68 ans sera, elle aussi, « coincée à Paris pour les vacances de Noël ». Simon*, consultant dans l’environnement, a dû prendre deux jours entiers pour se rendre en Suisse pour le travail, faute de pouvoir y aller en train.

Florence*, enseignante-chercheuse à Dijon, a rallongé son temps de trajet pour se rendre à l’université. « Je m’organise différemment, voilà tout », lance-t-elle, volontairement peu loquace sur le sujet, soucieuse de ne pas alimenter la sempiternelle polémique du « chaos de la grève ».

Surtout, les personnes ayant répondu à l’appel à témoignages préfèrent adresser leurs griefs au gouvernement. « La période choisie par l’exécutif pour réformer est le meilleur moyen de monter les gens les uns contre les autres », estime Vincent, employé dans le secteur de la finance.

Tous dénoncent en premier lieu le fond de cette réforme. « Le nouveau système de retraites, qui sera calculé sur l’ensemble de la carrière, nous nuira forcément au moment de partir à la retraite », résume Pierre*, qui a dû, avec sa compagne, réduire son temps de travail pour s’occuper de ses deux enfants en situation de handicap.

« Prendre le risque d’être stigmatisé »

En seize ans de vie professionnelle, Thomas, lui, a cumulé les petits boulots : restauration, prêt-à-porter, livraison, fonderie… « Une vie en intérim, faite de trous, où je n’ai pas toujours travaillé », résume-t-il. Devançant notre question sur les raisons qui le conduisent à ne pas se mettre en grève, Thomas précise : « Une journée de travail en moins, c’est 70 euros dont j’ai besoin pour finir le mois. » A l’instar de Thomas, la majorité des personnes ayant répondu à l’appel à témoignages évoquent en premier lieu des raisons financières pour ne pas poser un jour de grève.

« Nous sommes la France silencieuse, on soutient le mouvement, mais on est effectivement content que l’on fasse grève pour nous », avoue-t-il, évoquant « l’effet de groupe », souvent nécessaire pour impulser un mouvement de grève dans une entreprise. Avec ses 617 euros de salaire par mois, Charlotte*, étudiante et assistante d’éducation à mi-temps dans un collège, ne s’est, elle non plus, pas posé la question de faire grève. Elle ne pouvait simplement « pas se le permettre ».

Simon, qui est employé par une entreprise américaine et possède le statut d’autoentrepreneur en France, abonde : « Dans ma boîte, chacun des employés a un statut particulier, ça n’incite pas à lancer un mouvement. » Dans son entreprise, où il n’existe aucune représentation syndicale, « le risque d’être stigmatisé est grand », constate-t-il, précisant avoir « le contrat le plus bas de l’échelle sociale ». Les contrats de consultance américains ne comprennent, en effet, pas de cotisations sociales, de cotisations retraites, de congés payés et de droit de grève.

Avec l’évolution du marché du travail, de nombreux internautes soulignent un recours exponentiel à ce type de contrats, venant ainsi saper l’aspect collectif nécessaire à tout mouvement social. « En théorie, tout le monde a le droit de grève en France mais, en pratique, les gens qui ont la possibilité de faire grève sont de plus en plus rares », déplore Simon, évoquant, à l’inverse de son métier, l’impact salutaire des cheminots et des agents de la RATP dans le mouvement de grève.

Trouver d’autres moyens de soutenir le mouvement

La question d’avoir « un impact ou non » en faisant grève revient d’ailleurs souvent dans les témoignages. « Les seuls qui peuvent vraiment faire grève sont ceux qui ont un moyen de pression », justifie Frank, salarié de son entreprise familial, qui emploie également sa femme. « Faire grève ne pénaliserait que nous », poursuit-il, évoquant « la charge de travail induite par une journée chômée », qui « risquerait de mettre en péril ma société ».

En tant qu’enseignante, Florence estime qu’en cette période d’examen, elle a une « responsabilité professionnelle », celle de faire cours. Pour soutenir le mouvement grève, elle rappelle néanmoins à ses étudiants que manifester est un droit, qu’ils sont libres de le prendre. De son côté, Charlotte « fait en sorte que moins d’élèves viennent au collège, en n’encourageant pas les parents à faire venir les enfants ou en ne donnant pas les informations sur l’absence des professeurs. » Odette, enfin, a choisi de faire un don à la caisse de solidarité lancée par la CGT Info’com, qui cumule près de 900 000 euros à destination des salariés grévistes.

Et s’ils pouvaient se permettre de manifester ? De nombreuses personnes assurent dans tous les cas qu’elles n’iraient pas forcément défiler, évoquant « la peur des violences policières », régulièrement constatées dans les cortèges.


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