Image tirée du film La classe.
Émeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit
Ana María Iglesias Botrán, Universidad de ValladolidLa France a été secouée par plusieurs journées d'émeutes, après qu'un adolescent a été abattu mardi 27 juin par un policier à Nanterre, suite à un refus d’obtempérer.
Certains artistes, intellectuels et citoyens se sont indignés et ont réagi face un phénomène de violences policières. Le Haut Commissaire des Nations unies a exhorté la France à s’attaquer au racisme au sein de la police et des forces de l’ordre. Il y a quelques semaines, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a également accusé la France de discrimination raciale et de violences policières.
En fait, le cinéma français raconte cette histoire depuis plusieurs années. Par exemple, Athena (2022) raconte comment, après le meurtre d’une adolescente, le conflit dégénère en quasi-guerre civile.
Ce n’est pas la première fois
Ce film peut sembler prémonitoire, mais il y a eu des précédents en termes d'émeutes et de révoltes dans les quartiers populaires dans l’actualité française, notamment en 2005.
Dans la nuit du 27 octobre de cette année-là, à Clichy-sous-Bois, à l’est de Paris, trois jeunes hommes se sont cachés dans un transformateur électrique pour ne pas avoir à répondre aux interrogatoires de la police. Deux d’entre eux sont morts électrocutés et le troisième a survécu à de graves brûlures après avoir été hospitalisé dans un état très sérieux.
La réaction fut une immense et violente révolte populaire qui dura trois semaines. Les émeutes se sont étendues à toute la France et ont touché les banlieues de 200 villes. Les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui a qualifié les jeunes des banlieues de « racailles » lors d’une visite dans le quartier du Val d’argent à Argenteuil, n’ont pas arrangé les choses. Devant l’impossibilité de maîtriser la situation, le Premier ministre Dominique de Villepin a déclaré l’état d’urgence. Neuf mille véhicules ont été détruits et des bâtiments institutionnels attaqués, sans compter les blessés et les interpellations. Au total, les dégâts ont été estimés à plus de 150 millions d’euros.
Ce qui se passe aujourd’hui est similaire et n’est ni isolé ni nouveau en France. Ces incidents ne sont pas toujours couverts par les médias européens, même s'ils se produisent régulièrement. Les films sortis en France ces dernières décennies en témoignent, dénonçant une fracture sociale quotidienne, des rapports difficiles avec la police, la frustration de ne pouvoir sortir du cercle du quartier, et une école qui se veut rédemptrice face à un problème qui semble perdurer.
Les origines du conflit
Le film Retour à Reims (2021), réalisé à partir de fragments documentaires issus du fonds de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), retrace avec précision le phénomène de l’arrivée massive de l’immigration grâce aux lois qui l’ont favorisée après la Seconde Guerre mondiale. Le paysage social des villes s’en trouve transformé, entraînant une cohabitation qui n’est pas toujours facile.
Dans les années 1940 et 1950, des bateaux en provenance d’Algérie et du Maroc arrivent chaque jour sur les côtes françaises avec des milliers de personnes. Ils sont reçus et accueillis par les institutions et les entreprises avec des mesures déjà discriminatoires en termes de salaires et de droits.
Le film Les Femmes du 6e étage (2010) raconte également le quotidien d’un groupe de femmes espagnoles qui ont émigré pour devenir employées de maison. Dans la tendresse de la nostalgie et de l’humour, il raconte aussi le harcèlement, les abus et les difficultés auxquels de nombreuses femmes étrangères ont dû faire face.
Les problèmes de la banlieue, un thème récurrent du cinéma français
Quel rapport avec le meurtre récent de Nahel et les émeutes ? Eh bien, les années ont passé et les enfants et petits-enfants de ces premières générations d’immigrés sont nés en France, ont été élevés sous la devise « liberté, égalité, fraternité », mais ont vite découvert qu’elle ne s’appliquait pas à eux.
C’est pourquoi, dans les années 1980, ont eu lieu les premières manifestations contre le racisme et les discriminations liées à l’origine.
Les quartiers des grandes villes ont été configurés pour accueillir l’ensemble de la population active, étrangère ou non, en construisant massivement des HLM (habitation à loyer modéré) dans les ZUP (zone d’urbanisation prioritaire). Ils ont été construits en très peu de temps, avec des matériaux de mauvaise qualité, pour loger les milliers de personnes que des villes comme Paris, Toulouse ou Marseille accueillaient. Aujourd’hui, ce sont de véritables ghettos, appelés quartiers sensibles en référence aux problèmes constants qui les habitent.
Le film La Haine (1995) montre la vie de jeunes vivant dans une banlieue, sans aller à l’école, fuyant les contrôles de police, essayant sans succès d’éviter la drogue et la délinquance. Cela ne se termine pas bien. Sans en dévoiler l’issue, on peut s’en faire une idée rien qu’en regardant les informations de ces derniers jours.
Trois décennies plus tard, Les Misérables (2019), qui a remporté de nombreux prix, est devenu un reflet actualisé du même thème : l’abandon des quartiers, la banlieue devenue ghetto, la relation compliquée entre des cultures différentes et le travail de la police, montré comme une forme d’ingérence continue et ennuyeuse dans la vie quotidienne des banlieues françaises, avec des contrôles plus intenses depuis les attaques terroristes à Paris, notamment sur les personnes d’apparence maghrébine et noire africaine.
L’école comme base de la solution
La réalité s’entête, mais le cinéma crée d’autres espaces, confrontant les clichés et posant un autre regard sur le réel. Dans un esprit profondément français, l’école est très souvent présentée comme la solution universelle à ces problèmes sociétaux. En effet, de nombreux films traitent du thème de l’éducation et de l’école.
C’est le cas de Entre les murs (2008), également primé, fait directement référence à l’oasis apparente de la salle de classe, qui reproduit pourtant ce qu’il y a à l’extérieur. Une mosaïque diverse qui expose la délicate complexité d’une société, remettant en question les généralisations, les stéréotypes et les préjugés.
Dans Le brio (2017), il est question de l’université. Dans ce film, un professeur de littérature montre à travers Schopenhauer – et son livre L’art d’avoir toujours raison – comment les mots peuvent créer un nouvel univers. L’étudiante, elle, sauve le professeur de l’expulsion et atteint ses objectifs académiques. La compréhension émerge dans le processus de découverte de leurs différences apparemment irréconciliables.
La littérature française est fréquemment utilisée comme une planche de salut : les personnages, les histoires et les auteurs sont les références des protagonistes. Dans le film Les grands esprits (2017), le livre rédempteur est Les Misérables, de Victor Hugo, analysé par chacun des personnages comme s’il était l’un des symboles de la marginalisation et des problèmes actuels. D’autre part, le professeur blanc, aux yeux bleus, bourgeois, accablé de préjugés, se découvre lui-même à travers l’autre qu’il méprisait.
Le savoir et l’école sont des instruments qui viennent sans cesse à la rescousse des problèmes sociaux dans le cinéma français. Ils finissent, malgré les obstacles, à créer de nouvelles relations d’empathie qui, dans l’espace filmique, résoudront le conflit. Mais dans la vie réelle, il reste encore beaucoup à résoudre.
Ana María Iglesias Botrán, Profesora del Departamento de Filología Francesa en la Facultad de Filosofía y Letras. Doctora especialista en estudios culturales franceses y Análisis del Discurso, Universidad de Valladolid
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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