École à la maison : les familles face à de nouvelles règles

France
The Conversation

École à la maison : les familles face à de nouvelles règles

Beatrice Mabilon-Bonfils, CY Cergy Paris Université

L’instruction est obligatoire en France depuis par la loi Ferry du 28 mars 1882. Si le principe est le droit à l’instruction assuré par l’État, dans des établissements publics, ou privés, un droit à l’instruction est adapté par exception aux parents, issu du principe de liberté d’enseignement, corollaire du droit à l’instruction en famille.

Depuis plusieurs décennies, plusieurs restrictions à ce recours à l’instruction en famille se sont succédé, jusqu’à la plus récente en 2022, avec le passage d’un régime de déclaration par la famille à une autorisation préalable délivrée par les services académiques, qui constitue une restriction sans précédent à ce mode d’instruction.

En France, la quasi-totalité des enfants et des adolescents d’« âge scolaire », suivent leurs études dans un établissement, public pour 82,7 % d’entre eux, privé sous contrat avec l’État pour 16,5 % ou bien privé hors contrat (0,5 %), selon le ministère de l’Éducation. Cependant, une population, certes minoritaire, de l’ordre de 0,3 % des élèves, décide de suivre une instruction en famille.

Selon les chercheurs Philippe Bongrand et Dominique Glasman, on compterait 30 139 enfants en instruction à domicile, ce à quoi il faut ajouter les très nombreux enfants pauvres privés d’école, évalués par des associations à 100 000 personnes. Sur ces 30 000 jeunes officiellement recensés, 16 000 relèvent de contraintes telles des impératifs de santé, le suivi d’un sport de haut niveau, le fait d’être enfants de parents itinérants. Pour 14 000 autres, il s’agit d’un choix éducatif de la famille.

Malgré les très faibles effectifs concernés, depuis une dizaine d’années, il semble que le phénomène soit croissant et de plus en plus médiatisé, notamment avec la diffusion du « homeschooling » en Amérique du Nord.

Contrôles renforcés

Dans notre enquête menée à l’été 2022 auprès des familles, nous repérons que les cadres et professions intellectuelles et les sans profession sont surreprésentées parmi les familles faisant ce choix de l’instruction à domicile, hors contraintes liées à la santé ou des circonstances particulières. Ces parents ont plus fréquemment que la moyenne vécu en tant qu’enfants le homeschooling et l’ont en ce cas bien vécu. Dans notre échantillon, recueilli par les associations – soit les familles les plus engagées –, leurs motivations se classent en trois catégories :

  • la recherche d’une alternative à la forme scolaire incarnant la flexibilité des rythmes d’apprentissages et le souci de l’épanouissement du bien-être ;

  • un vécu de souffrances ou de malaise scolaires et les répondants citent harcèlement, phobie scolaire¸ cauchemar, eczéma, etc. ;

  • Une inclusion jugée insuffisante pour des enfants à besoins particuliers ou avec troubles de l’apprentissage.

Les différents études et rapports suggèrent que les cas d’instruction en famille induits par des formes de radicalismes demeurent exceptionnels

Nantes : ces familles qui militent pour défendre l’école à la maison (France 3 Pays de la Loire, 2020).

Avant le passage du régime de déclaration préalable à l’autorisation académique, des sénateurs avaient déjà proposé, e décembre 2013, de limiter le recours à l’instruction à domicile au motif que

« l’un des buts de la scolarisation de l’enfant est sa socialisation. Celle-ci nécessite une éducation qui ait une dimension collective[…]. Dans cet esprit, l’éducation à domicile par la famille ne peut être qu’une situation exceptionnelle, liée à l’état de santé ou à l’incapacité permanente ou temporaire de l’enfant. Elle ne peut être le prétexte d’une désocialisation volontaire, destinée à soumettre l’enfant, particulièrement vulnérable, à un conditionnement psychique, idéologique ou religieux. »

Plus récemment, les questions de « radicalisation » et de « dérives sectaires » ont renforcé ces velléités de contrôle. En janvier 2015, la mesure 9 pour une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République renforce le contrôle de l’instruction dans la famille. Selon la circulaire du 14 avril 2017,

« la vérification de l’acquisition de l’ensemble des connaissances et des compétences du socle commun est un des moyens qui peut permettre d’apprécier si l’enfant est soumis à une emprise contraire à son intérêt, notamment une emprise sectaire, ou s’il se trouve dans un contexte de risque de radicalisation. »

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance consacre son Chapitre III au « renforcement du contrôle de l’instruction ».

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Depuis la fin des années 1990, la tendance est donc celle d’un encadrement croissant et de renforcements successifs du contrôle, avec comme point d’orgue le nouveau régime de l’autorisation préalable avec la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, qui durcit l’accès à ce mode d’apprentissage dès la rentrée 2022 :

« La scolarisation de tous les enfants dans un établissement scolaire devient obligatoire à la rentrée 2022 et l’instruction d’un enfant en famille dérogatoire. L’école à la maison sera soumise à autorisation (et non plus seulement à déclaration). »

Le premier projet de loi confortant le respect des principes de la République avait été censuré par le Conseil d’État, notamment en ce que les dérives et carences des familles pratiquant l’instruction en famille étaient anecdotiques et que les difficultés liées à ce régime ne constituaient pas un motif d’interdiction valable.

Recours judiciaires

À la rentrée 2022, pour une première année d’instruction en famille, les familles devaient soumettre une demande d’autorisation au directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) du département, assortie d’un projet éducatif. En cas de refus, la famille peut contester la décision par un recours administratif préalable obligatoire. En cas de rejet, la saisine du juge administratif est possible, certaines familles ayant même initié un référé-suspension visant à suspendre la décision rectorale en attente du jugement de fond du tribunal administratif.

Durcissement des critères pour l’école à la maison (France 3 Midi-Pyrénées, octobre 2022).

Pour la rentrée 2022,les refus des rectorats ont été nombreux. Interrogé à ce sujet le 2 août 2022, en Commission des affaires culturelles et de l’éducation au sein de l’Assemblée nationale, le ministre Pap Ndiaye indiquait que 53 % des demandes d’autorisation en instruction en famille avaient été acceptées pour le motif « situation propre à l’enfant », précisant que des contrastes très forts existe selon les académies : « Dans certains départements, c’est un non très massif, dans d’autres c’est plus ouvert »… d’où la question de l’harmonisation nationale. Des recours face aux refus se sont multipliés.

Dans les recours contre un refus d’instruction en famille, l’urgence à statuer a été retenue par le juge par décision du tribunal administratif de Lille du 11 juillet 2022 ou par celle du tribunal administratif de Rouen, du 15 juillet 2022. Le 3 août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse définit de qu’il faut entendre par « l’intérêt propre à l’enfant », considérant que

« les deux seuls critères sur lesquels l’administration doit se fonder pour apprécier l’existence d’un intérêt propre à l’enfant sont la capacité des parents à assurer l’instruction en famille, d’une part, et d’autre part la transmission d’un projet pédagogique adapté à l’enfant. Le juge des référés écarte ainsi toute possibilité pour le rectorat d’obliger les parents à démontrer l’impossibilité de scolariser l’enfant. »

Le tribunal de Rennes, qui est le premier à statuer sur le fond, le 10 octobre 2022, relève que la loi ne conditionnait pas la délivrance de l’autorisation à une impossibilité de scolarisation ; cette condition a bien existé mais uniquement dans les intentions du pouvoir exécutif. Elle ne peut être regardée comme une norme légale.

« En estimant que le projet pédagogique proposé par les requérants n’était pas suffisamment articulé avec les rythmes de leurs enfants, ni adapté à leurs acquis, en l’absence d’objectifs et de progressions qui leur seraient propres, la commission pédagogique a fondé sa décision sur des exigences excédant les seuls critères d’appréciation fixés par les dispositions précitées des articles L. 131-5 et R. 131-11-5 du code de l’éducation et a donc commis une erreur de droit. »

Le passage d’un régime de déclaration préalable à un régime soumis à autorisation est inédit en France et, dans sa note de synthèse sur l’apprentissage en famille dans les pays occidentaux, la chercheuse Marine Dumond montre que si, dans la majorité des pays occidentaux, les parents ont le droit de pratiquer l’apprentissage en famille, des différences s’observent d’un pays ou d’un état à l’autre.

Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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