Comment les insectes gèrent à leur échelle le changement climatique

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Comment les insectes gèrent à leur échelle le changement climatique

Le changement climatique pose aussi des soucis d'adaptation aux insectes. PxHere
Vincent Foray, Université de Tours; Deconninck Gwenaëlle, Université de Tours; Mathieu Leclerc, Université de Tours et Sylvain Pincebourde, Université de Tours

L’été 2022 a été le deuxième plus chaud jamais observé en France, avec de multiples vagues de chaleur successives et de nombreux records de température battus dans plusieurs villes. Si ces extrêmes climatiques préfigurent ce qui pourrait devenir la norme d’ici la fin du siècle, ils interrogent quant à leurs conséquences sur la biodiversité.

Les insectes représentent plus de la moitié des espèces vivantes décrites, avec plus d’un million d’espèces reconnues au niveau mondial et près de 50 000 en France. Généralement mal connus du grand public, ils sont perçus comme capables de résister à tout… Pourtant, eux non plus ne sont pas épargnés par ces températures élevées et doivent lutter pour survivre.

Comme pour les autres organismes vivants, la réponse des insectes aux changements climatiques se décompose en trois alternatives principales : s’adapter (génétiquement), ajuster leur physiologie et chercher des conditions plus clémentes. Par exemple, des études ont rapporté des modifications de la « phénologie » (la temporalité de phénomènes biologiques au cours des saisons) ou de l’aire de répartition de certaines espèces de papillons en réponse au changement de leur environnement.

Cependant, ces réponses sont souvent trop lentes et/ou inadaptées pour faire face aux événements climatiques extrêmes régulièrement brutaux et imprévisibles tels que les vagues de chaleur. Prendre la mesure du challenge que représentent les vagues de chaleur pour les insectes et identifier les solutions qui s’offrent à eux constituent une priorité pour connaître quelles espèces sont les plus en danger et comment limiter les risques d’extinction.

Pourquoi se préoccuper des insectes ?

On a toujours besoin d’un plus petit que soi… Le proverbe s’applique parfaitement aux insectes car, si petits soient-ils, ils jouent des rôles cruciaux au sein des écosystèmes. La pollinisation, la dégradation de végétaux et matières organiques, leur place dans les chaînes alimentaires ou encore leur utilisation comme agents de biocontrôle en agriculture sont autant d’exemples qui soulignent leur place omniprésente dans nos quotidiens.

Leur déclin est lié à de nombreux facteurs, incluant les changements de pratiques agricoles (pesticides, remembrement, etc.), l’urbanisation, mais aussi les changements climatiques, et devient extrêmement préoccupant.

Les insectes sont des organismes « ectothermes », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas en mesure de produire de la chaleur par eux-mêmes – à la différence des animaux endothermes, tels les mammifères, qui, eux, en sont capables. Ils sont donc dépendants de leur environnement pour trouver une température qui leur soit favorable. On pourrait alors croire que les vagues de chaleur leur soient bénéfiques… Mais, hormis pour quelques espèces particulièrement bien adaptées aux hautes températures, ce n’est pas le cas.

La tolérance des insectes aux hautes températures va en effet dépendre de nombreux paramètres. Certains peuvent être mis en parallèle avec ceux qui influencent la thermorégulation chez l’humain : l’âge, la taille du corps, le stade de vie (œuf, larve, adulte) ; d’autres sont plus originaux comme la photopériode, la disponibilité en oxygène ou la possession de symbiontes (micro-organismes associés à l’insecte).

Schéma d’un insecte localisant ses capteurs de chaleur (antennes), de libération de la chaleur excédentaire (gaz respiratoires), etc.
Systèmes d’évaluation de la température et de régulation à la chaleur chez les insectes. G. Deconninck, d’après González-Tokman (2020), Author provided

Lorsque l’insecte perçoit une température qui lui est défavorable, son organisme réagit et des réponses métaboliques se mettent en place. Tout comme l’humain, il va pouvoir transpirer (évapotranspiration) pour équilibrer sa température. Dans les cas extrêmes, il va diminuer son taux métabolique, c’est-à-dire limiter au maximum les pertes d’énergie.

Mais la réponse peut aussi être comportementale : il peut quitter l’endroit où il se trouve pour aller dans une zone plus fraîche.

D’où l’importance, pour comprendre l’impact du réchauffement climatique sur les insectes, de se placer à leur hauteur… Pour ce faire, l’étude du microclimat permet de définir l’habitat thermique des insectes. Ce qui n’est pas si évident.

Développer l’importance des microclimats… à hauteur d’insectes

Même si la « météo » peine parfois à proposer des prévisions pertinentes, la mesure des températures ne pose – apparemment – guère de souci. Or les températures fournies par les organismes météorologiques sont adaptées aux humains… mais pas toujours pertinentes pour les insectes. En effet, l’échelle spatiale n’est pas la même pour un humain ou un insecte.

Pour un insecte de 2mm, le micro-habitat ne s’étire que sur 10 cm, contre 85 pour un homme
Selon la taille de l’organisme (insecte, humain…), le micro-habitat à considérer n’est pas le même : il est beaucoup plus réduit pour un insecte. M. Leclerc, d’après S. Pincebourde et Current Opinion, Author provided

Par rapport à une fourmi, un humain qui se trouve dans une zone trop chaude ou trop froide pourra parcourir une plus grande distance à la recherche d’un environnement favorable. Mais surtout, à échelle d’insecte, le « paysage thermique » est très différent du nôtre : aux grandes zones dessinées par les données climatiques « classiques » correspondent des espaces très découpés si l’on considère les données microclimatiques.

Si on prend l’exemple des insectes présents à la surface des feuilles, comme les pucerons, ils pourront trouver à quelques centimètres d’écart des zones plus ou moins chaudes à cause de phénomènes physiques (couches limites, rayons solaires, convection, évapotranspiration de la feuille, etc.). L’insecte n’est donc pas exposé aux mêmes températures en fonction de sa position, ce qui est imperceptible à notre échelle humaine. Il en est de même pour les pollinisateurs lorsqu’ils visitent des fleurs.

À une échelle plus large, pour les insectes forestiers, une forte hétérogénéité de la température est présente dans ce type de milieu. Un paysage thermique complexe est plus accueillant pour la biodiversité.

Avec le changement climatique et les vagues de chaleur, les températures de l’air sont par définition plus élevées, se répercutant ainsi sur les micro-habitats. Les insectes seront donc exposés à des températures plus chaudes. Par exemple, la cime des arbres peut atteindre plus de 55 °C lors d’une vague de chaleur ! Une solution pour eux serait de trouver un refuge climatique, c’est-à-dire un secteur plus frais.

Cependant, les vagues de chaleur, quand elles se suivent, homogénéisent les températures, ce qui limite la disponibilité des environnements favorables. Les insectes peuvent donc se retrouver confrontés à des températures stressantes, voire létales, sans avoir la possibilité d’y échapper.

Toutefois, tout n’est pas perdu pour la biodiversité. Il existe une autre capacité d’adaptation des insectes, plus inattendue a priori : « l’architecture » ! Des espèces sont capables de réguler la température de leur microhabitat en construisant des structures spécifiques. Nous pouvons citer le cas des termitières ou les cocons des chenilles processionnaires, qui permettent de maintenir une température relativement optimale pour leurs occupants.

Dans les termitières, par exemple, la température est maintenue constante à environ 30 °C. L’architecture du nid et sa structure microporeuse vont permettre une circulation de l’air via des pores, des galeries et des cheminées : l’air extérieur chaud est envoyé sous terre où il se refroidit, puis redistribué à l’ensemble de la termitière, et enfin sa densité le fait remonter et sortir de la termitière au travers de cheminées.

Termitière pouvant atteindre 7m en Australie
Pour résister à la chaleur, certains insectes comme les termites sont capables de créer des habitats ventilés et où la température est contrôlée (Litchfield National Park, Australie). W. Bulach/Wikipedia, CC BY-SA

L’évolution a conduit les insectes à tirer profit des phénomènes physiques qui nous entourent et leur ingéniosité inspire les scientifiques et ingénieurs pour diverses constructions : on appelle cela la bio-inspiration ou biomimétisme.

Mais tous les insectes ne vivent pas dans des termitières. Reste alors à maintenir le réchauffement climatique dans une marge acceptable, afin que les autres aient la possibilité de trouver des zones qui assurent leur survie.

Conclusion

Prédire les conséquences du changement climatique sur la biodiversité représente un challenge de taille, mais pourtant essentiel. L’importance des conditions microclimatiques dans la réponse des organismes vivants aux conditions futures est probablement sous-estimée et mérite une plus grande attention, par exemple en étudiant différents habitats (terrestre, aquatique, etc.), différentes régions climatiques (tropicale, continentale, etc.) et différents groupes d’organismes (insectes, poissons, reptiles, etc.).

Les résultats dans ce domaine laissent toutefois entrevoir des solutions pour lutter contre les conséquences négatives du changement climatique. En effet, favoriser ou recréer des paysages thermiques hétérogènes, via la végétalisation de zones urbaines ou la préservation des haies dans les zones agricoles, permettrait de fournir des refuges thermiques aux insectes lors des vagues de chaleur.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Vincent Foray, Maître de conférences, Université de Tours; Deconninck Gwenaëlle, Doctorante à l'Institut de Recherche sur la Biologie de l'Insecte, Université de Tours; Mathieu Leclerc, Doctorant, Université de Tours et Sylvain Pincebourde, Chargé de Recherche en écologie physique, Université de Tours

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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