Dans l’histoire des représentations, la guerre semble l’activité genrée par excellence : les femmes à l’arrière, les hommes au front. L’accès au combat ressort du domaine masculin, la cause semble entendue depuis longtemps ; c’est pour avoir transgressé cette règle que Jeanne d’Arc fut brûlée. Dans la série Mrs America, qui raconte l’histoire du mouvement féministe pour la ratification de l’amendement sur l’égalité des droits (Equal Rights Amendment) dans les années 1920, la conservatrice Phyllis Schlafy s’y oppose au prétexte que sa ratification permettrait d’envoyer les femmes se battre au Vietnam.
Pourtant, peu à peu, on découvre que la controverse est ancienne et que de nombreuses femmes en armes ont traversé l’histoire. Des récits perdus, des noms quasi inconnus émergent. Parallèlement, la guerre se complexifie, avec la montée en puissance de nouvelles technologies moins liées à la force physique.
Car c’est là l’argument phare qui barre l’accès des femmes au champ de bataille : d’une constitution plus faible, elles seraient plus vulnérables et donc à protéger. De ce fait, leur intrusion dans le monde guerrier ne serait acceptable que dans des moments exceptionnels, ce que reflètent clairement les séries.
La guerre au front : une affaire d’hommes
Difficile de comptabiliser le nombre de films de guerre sortis depuis le premier du genre, celui du Britannique James Williamson en 1901, L’Attaque d’une mission en Chine. La série Band of Brothers illustre parfaitement cet entre-soi viril tissé de camaraderie et de courage.
Dans les séries comme dans la vie, les femmes restent systématiquement à l’arrière, dans des fonctions liées au « care », ou occupent momentanément les postes de travail laissés vacants. C’est l’effort de guerre des 6 millions d’Américaines appelées à l’usine que symbolise l’affiche Rosie la Riveteuse.
Quand il s’agit d’intervenir plus directement, les femmes se font résistantes ou espionnes : c’est le cas de Marie Germain dans Un Village Français ou de Marina Loiseau dans Le Bureau des Légendes.
L’accès au combat : une héroïsation très encadrée
L’idéal chevaleresque se montre plus propice à la représentation des femmes. Si l’icône Jeanne d’Arc a largement dépassé nos frontières, la possibilité pour une femme de défendre son fief en prenant les armes est historiquement fondée. Jusqu’à la professionnalisation de l’armée au XVIIe siècle, les femmes ont en effet souvent combattu. Comme le souligne l’historienne Nicole Dufournaud, Christine de Pizan écrivait au au début du XVe siècle que les dames « doi[ven]t avoir coeur d’homme », doivent « savoir les droits d’armes » afin qu’elles soient « preste de ordonner ses hommes » si besoin est, « pour assaillir ou pour deffendre » et doivent prendre garde que leurs forteresses soient bien garnies.
Ces femmes rejoignent en ce sens les figures de l’héroic fantasy qui manient l’épée, l’arc ou le couteau.
Pourquoi cette frilosité des scénaristes, qui ne s’intéressent pas à ces parcours ?
Xéna, un exemple de vision érotisée et très cliché de la guerrière.Allociné
Il faut croire que la violence inhérente au combat pose problème quand elle s’applique aux femmes. Si elle est acceptable dans la défense du foyer, du clan, voire de la nation, elle reste suspecte et dangereuse pour l’ordre social. Les femmes sont vite qualifiées d’hystériques, de furies, de pétroleuses, de terroristes. L’héroïne de The Last Kingdom, Brida, l’illustre parfaitement.
Les clichés sur cette ambivalence abondent. Travestie en vêtements masculins, la combattante brouille la barrière des sexes. Érotisée en petite tenue, elle devient, comme Xéna, un fantasme. Les Amazones en savent d’ailleurs quelque chose.
Les Amazones : un mythe ambigü et récurrent
Cavalières armées, politiquement autonomes, les Amazones représentent un mythe puissant depuis l’Antiquité. Celui-ci semble s’inspirer des combattantes Scythes et se propage à bien des représentations de guerrières.
Nulle trace de pratique du sein brûlé qui aurait permis de tirer à l’arc. En revanche son imaginaire, tenace, participe bien de la fascination mêlée de peur pour ces femmes libres. Elles n’en sont pas moins généralement vaincues par les hommes, Penthesilée comme Hippolyte.
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Cependant, ce sont les superhéroïnes de The Boys, Starlight et Maeve, qui, dans leur lutte contre la misogynie, sont probablement les plus proches du projet émancipateur de Wonder Woman.
Elles alertent également sur le sexisme, peu évoqué, qui existe dans le monde réel au sein des armées. Le réseau social « Paye mon Treillis » en témoigne.
L’émancipation féminine passe-t-elle par les armes ?
Chevalier en armes, barbare ou amazone, la figure de la combattante navigue entre de nombreux stéréotypes. Les séries originales sur les combattantes sont relativement rares. Et dans la réalité, les annonces de nomination aux hauts grades sont médiatisées sans nécessairement être installées : le statut des femmes dans l’armée reste complexe.
On peut comme l’Irakienne Swasam dans Baghdad Central, finir par s’interroger sur « l’empowerment » que représente au fond l’intégration dans l’armée. Cependant, comme le soulignent les combattantes d’aujourd’hui, en Ukraine, ce n’est pas tant la participation à la guerre que son impossibilité qui doit poser problème, si l’on adopte un point de vue féministe.