Champs cultivés et prairies artificielles : quand la nature « ordinaire » nous rend service

Environnement
The Conversation

Dans le Sud de la France, une prairie artificielle fauchée, exemple de nature ordinaire agricole. Christel Vidaller/IMBE-université d’Avignon, Fourni par l'auteur

Thierry Dutoit, Aix-Marseille Université (AMU) et Christel Vidaller, Université d'Avignon

Au cours de l’année 2021, de nombreuses manifestations contre l’imperméabilisation des terres ont eu lieu en Île-de-France afin de défendre, non pas des milieux naturels exceptionnels, mais de simples terres agricoles, dont la surface décroît dans notre pays d’un peu plus de 65 000 hectares par an !

Outre la nécessité de conserver ces terres pour leurs productions agricoles, ces espaces composés de nature dite « ordinaire », pourraient aussi rendre des services écosystémiques à prendre en compte dans les mécanismes de compensation écologique.

Les services écosystémiques ont été définis en 2005 par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire comme les avantages que l’humanité obtient des écosystèmes. Il s’agit notamment des services d’approvisionnement tels que la fourniture de nourriture et d’eau, de régulation comme la lutte contre les inondations et les maladies, de soutien comme le cycle des éléments nutritifs et enfin, des services culturels à l’image des activités récréatives.

À l’aube du XXIe siècle, cette même évaluation a montré que 60 % des services écosystémiques étudiés sont dégradés ou utilisés de manière non durable, d’où la nécessité de les prendre en compte dans les mesures de conservation en complément des habitats et espèces rares.

Peu de recherches menées sur le sujet

Si de nombreux travaux de recherche menés à travers le monde ont tenté de caractériser et de mesurer les services écosystémiques des espaces abritant une biodiversité qualifiée « d’extraordinaire », beaucoup moins se sont intéressés aux services rendus par les lieux où s’épanouit une nature « ordinaire » : autrement dit, à la nature composée d’espèces et d’habitats communs possédant une faible complexité écologique – c’est le cas d’une très grande partie des espaces agricoles cultivés de manière conventionnelle.

Cette nature « ordinaire », agricole, est pourtant très menacée par les changements environnementaux provoqués par exemple par l’extension des surfaces urbanisées). Alors qu’elle pourrait contribuer, entre autres, à la fixation du carbone atmosphérique, à la filtration des eaux ou à la lutte contre l’érosion des sols.

Dans le cadre d’un projet de recherche, nous avons cherché à savoir quels services écosystémiques avaient déjà été identifiés dans des milieux aussi communs que des champs cultivés intensivement ou des prairies artificielles.

Pour cela, nous avons réalisé une étude, à paraître prochainement dans le revue dans Agronomy for Sustainable Development, de la bibliographie scientifique internationale, puis effectué une analyse qualitative et quantitative des données extraites des articles sélectionnés.

En 2019, ce travail a permis d’identifier un total de 616 publications, dont seulement 189 ont été retenues après lecture de l’intégralité des textes.

Des services de régulation bien identifiés

Nos résultats montrent que dans la plupart des cas, plusieurs types de services écosystémiques ont été abordés dans le même article (c’est le cas de 73 % des articles), mais ce sont les services de régulation qui y sont les plus étudiés (dans 85,7 % d’entre eux), suivis de ceux de support (58,7 %), d’approvisionnement (55,6 %) et, enfin, les services culturels qui reçoivent le moins d’attention (24,9 %).

Types de services écosystémiques (A) et services écosystémiques (B) identifiés dans les espaces agricoles de nature ordinaire et mentionnés dans les articles de la bibliographie scientifique internationale consultée. Modifié d’après Dutoit et Vidaller, CC BY-NC-ND

Ce résultat est probablement lié au fait que nous avons exclu de cette étude les services de production agricole eux-mêmes, tels que la mesure du rendement. Il s’ensuit que les articles que nous avons consultés sont principalement concentrés sur les services qui pourraient soutenir et/ou fournir un avantage aux agriculteurs comme les services de pollinisation (36,5 %), la lutte antiparasitaire (48,1 %) et le cycle des nutriments (49,7 %).

La séquestration du carbone (46,6 %) a souvent été mesurée, témoignant de la récente inquiétude suscitée par l’augmentation des niveaux de CO2 atmosphérique. La fourniture de biodiversité (40,7 %) a enfin aussi été évaluée, y compris pour des systèmes agricoles conventionnels pourtant pauvres en habitats et biodiversité.

De fait, ceux-ci ne permettent pas la conservation des services culturels, comme le tourisme Vert, car ils sont composés de prairies artificielles, de cultures arables, vignes et Vergers intensifs, etc.

Pour terminer, les principaux bénéficiaires des services écosystémiques identifiés dans les articles analysés étaient les agriculteurs (95,2 %), via notamment les services de la formation du sol, de la production primaire et du cycle des éléments nutritifs.

Compenser la destruction de nature ordinaire

Le prochain défi consistera à mesurer quantitativement les services écosystémiques rendus par la nature ordinaire agricole et de bien évaluer les compromis et synergies entre ces services ainsi que les éventuels « disservices », c’est-à-dire les fonctions négatives pour le bien-être humain.

Dans les agroécosystèmes intensifs, il peut s’agir de l’érosion, de la perte d’habitat de la faune, des émissions de gaz à effet de serre ou encore de la contamination des humains et d’autres espèces par les pesticides.

Ces recherches devraient contribuer à mieux intégrer la nature ordinaire aux mécanismes de conservation-restauration et de les inclure notamment dans la séquence éviter-réduire-compenser des études d’impact. En effet, à la compensation de la perte de production agricole devrait s’additionner alors une compensation écologique des services perdus.

Faute de libérer des terres agricoles aux dépens des espaces naturels, il pourrait ainsi être proposé de compenser la destruction des espaces de nature ordinaire agricole par le financement des agriculteurs pour qu’ils mettent en place des pratiques agroécologiques, telles que des techniques culturales simplifiées ou des cultures sous couverts.

Il a en effet déjà été démontré que les systèmes d’agriculture moins intensifs (traditionnels, raisonnés, biologiques, etc.) fournissent davantage de services écosystémiques que les méthodes agricoles conventionnelles. Ce type de mesure pourrait alors être un élément réellement incitatif pour accélérer la nécessaire transition écologique de l’agriculture française.

Thierry Dutoit, Directeur de recherches au CNRS en ingénierie écologique, Université d’Avignon, Institut méditerranéen de la biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU) et Christel Vidaller, Maîtresse de conférences à l’Université d’Avignon, Institut méditerranéen de la biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU), Université d'Avignon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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