«Cache ta forêt amazonienne», mon mois d'août sans épilation et autres histoires de poils

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Je ne m'étais jamais réellement posée de questions sur l'éradication de mes poils. Jusqu'à ce qu'une remarque dans un bus me pousse à m'interroger sur les raisons qui font du l'épilation un des principaux attributs du féminin.

Nous sommes au mois d'août 2016, je suis assise dans un bus lors d'un week-end à Nice. La baie défile par la vitre, je me penche pour observer au plus près le paysage. Je passe négligemment mes bras derrière ma nuque pour soutenir ma tête, j'observe, presque au bord du sommeil, le flou de la Méditerranée.

Et puis je suis tirée de ma rêverie par des rires étouffés, un groupe d'adolescents de seize à dix-huit ans me pointe du doigt. L'un d'entre eux, un peu plus aguerri, finit par s'exclamer: «cache ta forêt amazonienne!». S'ensuit un pluie d'exclamations que je parviens plus ou moins à décrypter et qui signifie, en langage peu policé, que mes aisselles non épilées et exhibées à tout vent ne font pas l'unanimité.

Sur le coup, et parce que la vie n'est malheureusement pas une pièce de théâtre, aucune répartie ne me vient. D'ailleurs j'espère vaguement que ce charmant discours ne s'adresse pas à moi. Mais, lorsque je replie prestement les bras, un murmure d'approbation monte du groupe qui ne cessera de m'observer- «elle va les remontrer ou pas ses poils?» - avant de quitter le bus à l'arrêt suivant.

Confessions (pileuses) d'une enfant du siècle

J'ai toujours eu une relation fluctuante avec les poils. Ma mère ne s'épile presque jamais et il fallu attendre mes quatorze ou quinze ans pour me résoudre, sous les conseils de copines bienveillantes, à m'enduire avec circonspection les aisselles de crème dépilatoire peu ragoûtante.

A dix-neuf ans, avant une journée à la plage, je me suis rendue chez l'esthéticienne avec des copines américaines. Mes deux amies ont demandé illico un «brazilian wax». J'ai fait de même sans avoir la moindre idée de ce dont il s'agissait. Je me suis retrouvée en moins de deux avec une épilation intégrale, l'esthéticienne tout sourire tentant d'arracher le dernier poil qui résistait à l'envahisseur (dans un endroit que je m'abstiendrai ici de mentionner). Lorsque je me suis étonnée de me retrouver avec le sexe d'une fille de douze ans, mes copines américaines ont haussé les sourcils, pour elles l'intégrale était de mise depuis la puberté.

Pendant trois ou quatre ans, j'ai fait la chasse à tout ce qui dépassait. Je me suis épilée les sourcils jusqu'à en avoir une tête d'accent circonflexe, j'ai acheté un épilateur de compétition, des gommages anti-poils incarnés et ai envisagé d'éradiquer mon odieuse pilosité au laser. Tous mes poils, moustache, aisselles, jambes et maillot étaient consciencieusement décolorés, coupés au ciseau en cas d'urgence ou impitoyablement arrachés par des professionnelles.

Et puis, en atteignant presque le quart de siècle,  je me suis dit que je méritais un peu de répit. Que je n'aimais pas souffrir. Que l'usage de l'épilateur, vrombissant et douloureux au possible, m'avait toujours horrifiée. Que les bandes de cire, collantes et à arracher comme des pansements, ce n'était pas pour moi non plus.

Je commençais à en avoir marre de passer des heures chaque mois à «prendre soin de mon corps», d'accumuler les produits inutiles «à l'extrait d'amande douce et d'aloe vera» (qui sentent en vérité le vieux roquefort) à prix d'or. Et -à mon grand dam- je réalisais que, inexorablement, tous les quinze jours, les poils repoussent...

Ce qui fait que cet été 2016, je l'ai passé sans m'épiler. Du tout. Jachère pour tous! Vacances générales du poil. Cessez-le-feu pour les rasoirs. Même pas par militantisme: la simple envie d'une trêve dans la spirale de l'épilation. Et aussi, peut-être, par curiosité. J'ai réalisé que depuis la fin de ma puberté, je ne m'étais jamais vraiment vue avec des poils....

Et lorsqu'on m'a exhortée dans ce bus niçois à cacher ma «forêt amazonienne», je me suis alors réellement demandée pourquoi ils gênaient autant, ces pauvres poils... 

Parce que clairement, il n'y a pas que les miens qui gênent.

Prenez ceux de Laura, une jeune femme qui a montré ses aisselles touffues lors d'un shooting contre le bodyshaming. Elle me raconte par message privé sur Facebook: «J'étais ennuyée de ne voir quasiment aucun modèle non épilée, j'ai voulu changer ça. Faire quelque chose de nouveau. Et en même temps dénoncer la norme du glabre qui pèse sur les femmes.». Elle n'a pas été déçuesur Facebook, les commentaires disaient: «rase toi vilaine», «je vais te buter, t'es tellement conne», «sale lesbienne», «Tu m'as fait vomir 146 fois»...

J'ai aussi des souvenirs de collège où les copines de onze ans se font traiter de singe à cause de trois malheureux poils sur les bras. Une copine, qui m'explique que son ex refusait de la toucher quand elle n'était pas épilée, et une autre, à qui un preux gentleman a lancé «beurk j'aime pas les touffes» au moment d'enlever sa culotte.

Et souvenez-vous de la poétique pub Veet (retirée de la diffusion par la suite) qui chantait «quand mon minou est tout doux c'est mon trésor mon bijou, quand mon minou pique partout il fait bien trop voyou» et conclue par «quand mon minou est tout doux, il aime être caressé partout» (bis) sous-entendant avec une finesse notoire que les femmes non-épilées ne sont pas sexuellement attirantes.

Dans le même genre, cette pub Nair qui annonce suavement que la «divine» «jambe française» est «toujours pressée mais parfaitement épilée» (si votre jambe est paresseuse, poilue et rugueuse, vous voici déchue de votre nationalité par l'équipe de comm' de Nair, désolée).

Un sympathique confrère débutait encore un de ses articles par «préparez-vous à avoir un sentiment de nausée assez puissant. Voici la nouvelle mode qui vient de commencer aux Etats-Unis: les filles doivent se laisser pousser les poils au niveau des aisselles. Et certaines s’en amusent en changeant même la couleurs des poils, histoire qu’on soit bien au courant qu’elles sont (un peu, beaucoup, passionnément) dégoûtantes.»

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