Par le

Image de freepik

Ce que le livre d’occasion dit de la lecture

Les Français achètent de plus en plus de livres d'occasion. Pxhere, CC BY
Claude Poissenot, Université de Lorraine

Depuis une dizaine d’années, le marché du livre d’occasion est en croissance. Alors que les acheteurs de livres neufs diminuent (de 5 et 12 % selon les sources) entre 2014 et 2022, les acheteurs de livres d’occasion sont de plus en plus nombreux (entre 27 % et 37 %). Autrement dit, l’achat de livres aurait sensiblement diminué sans le concours du marché de l’occasion. Ce phénomène de recomposition des pratiques d’accès aux livres (qui inclut les boîtes à livres) s’opère discrètement mais une étude pour la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA) sur le marché du livre d’occasion nous permet de le questionner. Plus précisément, on peut se demander ce que ces changements révèlent du rapport de nos contemporains à la lecture.

Le papier, support privilégié des lecteurs

Nous sommes entourés d’écrans et nous leur consacrons beaucoup de temps (3h14 par jour chez les 15 ans et plus selon l’enquête du CNL de 2023). Depuis le début des années 2000, les innovations numériques ont régulièrement alimenté les débats sur la fin du livre. Or, le papier demeure un support privilégié de la lecture de livre. En 2022, c’est au maximum 5 % des livres achetés qui le sont en format numérique contre 15 % d’occasions et 80 % de neuf environ. Et cette répartition est stable depuis 2017. La submersion du livre numérique n’a toujours pas eu lieu et on est donc loin de la fin du livre depuis qu’il est stabilisé sous la forme du codex imprimé sur du papier… C’est que les lecteurs trouvent dans le papier une matérialité adaptée à leurs pratiques. Ils apprécient ce support qui les change des écrans.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Et il faut rappeler cette présence massive du livre afin d’en prendre la mesure. Les instituts Kantar et GfK estiment entre 234 et 320 millions le nombre de livres neufs vendus par an entre 2014 et 2022 auxquels s’ajoutent entre 48 et 80 millions de livres d’occasion. Cela représente des volumes considérables qui marquent notre société. Par comparaison c’est nettement plus que le nombre de CD à son sommet en 2002 (plus de 150 millions).

De quoi la matérialité est-elle le signe ?

Le livre d’occasion repose sur l’idée d’une propriété temporaire et non exclusive. Les lecteurs qui revendent ou qui achètent acceptent qu’un même livre change de propriétaire. L’enquête montre que 66 % à 73 % des acheteurs d’imprimés ne s’approvisionnent que sur le marché du neuf. Ils envisagent l’achat du livre comme une histoire commune qui démarre par le neuf. Le livre encore immaculé apparaît comme la page blanche d’une histoire à écrire, celle de la relation entre lecteur, texte et auteur. Le marché du livre repose sur cette promesse implicite. Il est des livres qui nous ont construits et dont il serait difficile de se priver car ils nous relient à nous-mêmes.

Cette situation dominante est toutefois en train de changer puisque la part des acheteurs exclusifs de neuf a reculé de 5 à 8 points de 2014 à 2022. À l’inverse, les « mixeurs » qui achètent du neuf et de l’occasion a augmenté et atteint désormais de 23 à 28 %. Cette population conjugue des pratiques d’achats différentes selon l’intention qui les habite.

Mais l’enquête montre qu’« un acheteur d’occasion revend […] davantage ses livres (achetés neufs ou d’occasion) qu’un acheteur de neuf. » Quand la norme de l’achat neuf est transgressée, celle de ne pas revendre ses livres l’est également. Le rapport à l’objet l’emporte sur l’objet lui-même. Le lecteur fait prévaloir son autonomie sur le « respect » dû à l’objet. Cet assouplissement du rapport au livre marque le marché du livre puisque ces « mixeurs » procèdent à 42 à 47 % des achats de livres. Le livre fétiche d’une croyance collective cède peu à peu sa place au livre choisi, élu (ou revendu) au gré d’une décision personnelle. Et les acheteurs d’occasion sont souvent en veille, attendant la disponibilité d’un titre précis (40 % le font systématiquement ou souvent). « Je » décide, y compris d’attendre la bonne occasion.

Poche ou grand format ?

Mais peut-on repérer ce qui fait d’un livre qu’il sera acheté neuf ou d’occasion, conservé ou, au contraire, remis sur le marché de l’occasion ?

Le format poche se révèle plus propice à la revente que le grand format. Ce résultat étonnant montre que l’attachement au livre passe par ce critère. Plus grand, plus cher, peut-être plus souvent offert ou reçu en cadeau, le grand format fait l’objet d’un investissement (subjectif et objectif) plus important que le poche. Il remplit davantage une fonction de trace mémorielle.

À l’inverse, le format de poche est plus souple dans sa matérialité et dans le rapport que l’on entretient avec. Quand il s’agit d’acheter d’occasion, les lecteurs se concentrent sur le contenu plutôt que le format.

Livres illustrés encore plus supports de soi ?

Quand on demande aux lecteurs le type de livre qu’ils achèteraient plutôt en neuf ou en occasion, on perçoit une différence assez sensible entre la littérature (tous genres confondus) d’une part et les beaux livres et livres d’art ainsi que les BD, mangas, comics d’autre part. La littérature arrive en tête dans les livres que les lecteurs sont prêts à acheter d’occasion là où les autres genres sont préférentiellement achetés neufs. Ce résultat est surprenant car beaux livres et BD sont plus chers que les autres. La logique de réduction des coûts par l’occasion semble trouver ici une limite que l’on peut essayer d’interpréter.

Les types de livre le moins achetés d’occasion ont en commun de comporter des images. Les lecteurs semblent vouloir être les premiers à se les approprier. À l’inverse, la lecture de roman conduit à la production d’images mentales qui dépendent peu ou pas de l’apparence du livre, lequel peut être plus facilement acheté d’occasion. Le virage de la culture vers l’audiovisuel affecte aussi le livre (neuf comme occasion) en accordant une place plus importante aux images mais aussi en suscitant chez les lecteurs un intérêt accru pour elles.

La fracture entre petits et gros lecteurs

Le marché du livre neuf et de l’occasion donne à voir une distribution des lecteurs très inégale selon l’intensité de leurs pratiques. Pour le neuf, les petits acheteurs (1 à 4 livres par an) sont deux fois plus nombreux que les gros acheteurs (12 et plus). En revanche, ils pèsent nettement moins dans les ventes que les gros car ceux-ci cumulent autour de 35 achats en moyenne. Et cette tendance s’est plutôt renforcée en 2021 et 2022 par rapport à 2018. On assiste donc à une concentration des ventes de livres dans une part réduite de la population. Cette tendance s’observe de façon très semblable pour le marché de l’occasion.

Ces constats entrent en totale cohérence avec l’évolution des pratiques de lecture. L’enquête « Pratiques culturelles des Français » de 2018 montrait de façon très nette une augmentation de la part des 15 ans et plus à déclarer n’avoir lu aucun livre dans l’année alors que la part des lecteurs intensifs avait cessé de diminuer. Une sorte de fracture semble s’opérer entre des non-lecteurs plus nombreux et des lecteurs intensifs qui maintiennent voire accentuent leurs pratiques.

Défendre son pouvoir d’achat

L’occasion est bien sûr un moyen de faire des économies. C’est la possibilité de conserver des pratiques en réduisant leur coût. Et quand on interroge les acheteurs d’occasion, 76 % mettent en avant le souci de faire des économies alors que la motivation écologique n’est citée que par un tiers d’entre eux. La fin du mois est bien prioritaire.

Et en effet, le prix de l’occasion est en moyenne 2,5 fois moins élevé que celui du neuf. Et pour certains types de livres, cela peut se révéler important. Ainsi, les livres jeunesse dont les ventes ont été quasi stables (+1 %) pour le neuf entre 2014 et 2022 ont augmenté de 56 % pour l’occasion. La lecture aux jeunes enfants demande un volume de titres important car ce sont souvent des livres peu épais et illustrés et dont la lecture est régulière, voire quotidienne. Dès lors elle peut donc constituer un budget élevé. Et d’ailleurs, l’achat d’occasion concerne davantage les foyers avec enfants que les foyers sans. L’occasion peut prendre place en complément de pratiques d’emprunt en bibliothèques publiques dont on sait que les sections jeunesse totalisent 38 % du volume total des prêts.

L’achat d’occasion intéresse aussi des catégories de population au pouvoir d’achat modeste. Les étudiants soutiennent ainsi le secteur des livres universitaires et les catégories populaires le secteur des livres pratiques dont les ventes ont presque doublé entre 2014 et 2022. Mais l’achat d’occasion concerne tous les segments de l’édition et donc tous les publics. Par exemple, l’étude estime qu’un roman sur trois (tous genres confondus) est acheté d’occasion.

Le marché de l’occasion apparaît donc comme une opportunité ou une nécessité mais ne constitue pas un marché réservé aux personnes les moins favorisées. L’émergence des plates-formes en ligne a finalement démocratisé l’accès au livre d’occasion au sens où il s’est ouvert à un public plus large que les étudiants et catégories populaires urbaines.

D’ailleurs les acteurs traditionnels de l’occasion (braderies, marchés, brocantes et bouquinistes) ne sont cités que par 18 % des acheteurs d’occasion, ce qui montre que l’essentiel du marché passe désormais par le numérique.

En croissance, le marché de l’occasion est porté par les catégories défavorisées et les jeunes qui l’utilisent pour revendre plus que les autres catégories. La nécessité de réduire les dépenses du foyer prévaut. Et l’enquête montre d’ailleurs que, globalement deux tiers des vendeurs écoulent moins de 10 livres par an pour un gain inférieur à 50 euros. Une taxe réduirait l’attractivité du marché et concernerait en premier lieu des particuliers en lutte pour défendre leur pouvoir d’achat. Elle ne permettrait pas de promouvoir la lecture.

Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de wirestock sur Freepik

Les fleurs laissent tomber les insectes pollinisateurs

Avec moins d’insectes pour les polliniser, les fleurs s’en détournent pour trouver d’autres stratégies de reproduction. Mais les pollinisateurs ont aussi besoin des fleurs. Samson Acoca-Pidolle, Fourni par l'auteur
Samson Acoca-Pidolle, Université de Montpellier

Alors que le déclin des insectes ne ralentit pas, de nouvelles questions se posent quant à la manière dont les plantes, qui ont besoin des pollinisateurs, s’adaptent. Comment font-elles pour se reproduire dans ces conditions ? Dans une récente étude que nous avons menée, nous comparons des fleurs de pensée des champs (Viola arvensis) poussant aujourd’hui dans la région parisienne à des plantes plus anciennes de la même espèce, « ressuscitées » à partir de graines collectées il y a 20 à 30 ans. Nous avons trouvé que les fleurs actuelles sont 10 % plus petites, produisent 20 % moins de nectar que leurs ancêtres, des caractéristiques importantes pour attirer les pollinisateurs, qui viennent en conséquence moins les visiter. Ces changements montrent que les liens qui nouent les pensées à leurs pollinisateurs sont en train de se rompre.

Pour mettre en évidence l’évolution des fleurs actuelles par rapport à leurs ancêtres, nous avons eu recours à une méthode appelée « écologie de la résurrection ». Cette pratique consiste à comparer des individus issus d’une même espèce, mais récoltés à plusieurs années d’intervalle.

Pensée des champs, espèce sur laquelle porte l’étude. Samson Acoca-Pidolle, Fourni par l'auteur

Dans le cas de cette étude, publiée dans le journal scientifique New Phytologist, les plantes anciennes ont été « ressuscitées » depuis des graines collectées dans les années 1990-2000 et conservées par les Conservatoires botaniques nationaux de Bailleul et du Bassin parisien. Ces plantes anciennes ont été comparées à des plantes prélevées en 2021. La comparaison entre les pensées anciennes et leurs descendantes poussant de nos jours dans les mêmes champs du Bassin parisien permet de comprendre l’évolution de l’espèce au cours de ces 20 à 30 dernières années.

Le déclin des pollinisateurs, responsable désigné ?

C’est ainsi que nous avons pu étudier l’évolution de quatre populations de pensées des champs, une plante messicole, c’est-à-dire une plante sauvage présente dans les cultures agricoles, dans le Bassin parisien. Les plantes messicoles jouent un rôle important dans les services de pollinisation en attirant les insectes pollinisateurs et en leur offrant une ressource diversifiée. Le déclin de l’attractivité des messicoles pourrait diminuer l’attraction des pollinisateurs, pourtant nécessaires aux bons rendements de 75 % des cultures agricoles.

La moindre attractivité des fleurs pour les pollinisateurs est vraisemblablement leur réponse au déclin des insectes durant les dernières décennies, rapporté par plusieurs études à travers l’Europe. Plus de 75 % de la biomasse d’insectes volants, dont font partie les pollinisateurs, a disparu dans les aires protégées allemandes en 30 ans. Les pensées des champs, comme la majorité des plantes à fleurs, sont le fruit d’une coévolution avec leurs pollinisateurs durant des millions d’années pour arriver à une relation à bénéfice réciproque. La plante produit du nectar pour les insectes, et les insectes en contrepartie assurent le transport du pollen entre fleurs, assurant leur reproduction.

Avec le déclin des pollinisateurs, et donc du transfert de pollen entre fleurs, la reproduction des plantes devient plus difficile. Les résultats de cette étude révèlent que les pensées sont donc en train d’évoluer afin de se passer des pollinisateurs pour leur reproduction. Elles pratiquent de plus en plus l’autofécondation, qui consiste à se reproduire avec soi-même, ce qui est possible pour les plantes hermaphrodites, soit 90 % des plantes à fleurs environ.

Une évolution similaire a déjà été observée lors d’expériences où des plantes, en seulement quelques générations et en l’absence de pollinisateurs se reproduisent plus par autofécondation et produisent des fleurs avec moins de nectar et moins attractives que leurs congénères pollinisées par des insectes. Notre étude est en revanche la première à montrer que le déclin des pollinisateurs pourrait déjà être responsable d’une évolution vers l’autofécondation dans la nature.

Des conséquences pour l’ensemble de l’écosystème

L’autofécondation est une stratégie reproductive qui peut être efficace sur le court terme mais qui limiterait la capacité de l’espèce à s’adapter aux changements environnementaux futurs en réduisant la diversité génétique, ce qui augmenterait donc les risques d’extinction.

Ces résultats sont également une mauvaise nouvelle pour les pollinisateurs et le reste de la chaîne alimentaire. Notre étude a en effet mis en évidence un cercle vicieux : une réduction de la production de nectar par les plantes signifie moins de nourriture pour les insectes, ce qui peut à son tour contribuer à menacer les populations de pollinisateurs. Nous montrons que le déclin des pollinisateurs n’a pas que des conséquences démographiques mais également évolutives qui sont d’autant plus difficiles à inverser.

Samson Acoca-Pidolle, Doctorant en écologie évolutive, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Rihanna en nonne dénudée ou en « pape sexy » : sacrilège ou émancipation ?

Associated Press / Alamy Stock Photo
Chris Greenough, Edge Hill University

Rihanna n’en est pas à son premier coup d’éclat. Cette fois, elle a suscité la controverse et l’indignation avec une photo jugée par certains « déshumanisante et dégradante », sur laquelle elle est vêtue en religieuse, pour la couverture du printemps 2024 du magazine Interview.

Ce n’est pas la première fois que Rihanna utilise l’imagerie religieuse dans son travail. Prenons par exemple sa tenue « sexy pope » (pape sexy) lors du Met Gala 2018. C’est devenu un look emblématique, qui a même été immortalisé par une effigie en cire de la chanteuse dans le célèbre musée Madame Tussaud, et a incité le magazine Vogue à déclarer « Rihanna a gagné le Met Gala ».

Exactement comme avec la couverture du magazine Interview, certains ont jugé le thème du gala « corps célestes : la mode et l’imagination catholique » « sacrilège ».

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Pourtant, l’Église catholique s’est associée à l’exposition et a accompagné le Metropolitan Museum of Art, en prêtant plus de quarante vêtements papaux en provenance du Vatican. L’archevêque de New York, le cardinal Timothy Dolan, a non seulement approuvé l’événement, mais y a également assisté.

Rihanna n’a pas non plus limité son utilisation du symbolisme religieux à la religion catholique. En 2021, elle a été accusée d’appropriation culturelle lorsqu’elle a été photographiée portant un pendentif représentant la divinité hindoue Ganesha.

Et l’année précédente, Rihanna s’est excusée d’avoir utilisé un texte islamique sacré dans la musique du défilé de sa marque de lingerie Savage x Fenty en 2020.

Le symbolisme religieux comme provocation culturelle

Comme de nombreuses stars de la pop, de Beyoncé à Madonna et Lady Gaga à Lil Nas X, Rihanna utilise l’imagerie religieuse à des fins de provocation.

Tout comme Beyoncé a utilisé l’imagerie associée à la Vierge Marie dans ses annonces de grossesse sur les réseaux sociaux, pour mieux subvertir les associations entre blancheur et pureté sexuelle, Rihanna parodie le genre « nunsploitation » – « nonnesploitation », mot-valise formé de nun – sœur ou nonne – et exploitation, un sous-genre du cinéma d’exploitation, ayant connu son zénith au Japon et dans l’Europe des années 1970 – pour jouer avec la question de la respectabilité et du bon goût, questionner l’abstinence sexuelle et la sexualisation systématique du corps des femmes.

Le look nonne de Rihanna a suscité un tollé parce qu’il met en lumière des idées reçues sur la façon dont les femmes doivent s’habiller. Utiliser l’imagerie religieuse lui permet d’utiliser la parodie pour repousser les idéaux issus de la religion concernant le corps des femmes.

Le christianisme a longtemps entretenu des préceptes stricts sur la tenue vestimentaire des femmes. Un certain nombre de textes bibliques proscrivent la modestie pour les femmes, notamment 1 Timothée 2 :9-10 : « Je veux aussi que les femmes s’habillent modestement, avec décence et convenance, et non avec des cheveux tressés, de l’or ou des perles, ou des vêtements coûteux. »

Ces codes vestimentaires restent en vigueur dans un certain nombre de confessions chrétiennes aujourd’hui.

Les religieuses en tant qu’image culturelle populaire

L’appropriation de la figure de la nonne est profondément ancrée dans la culture populaire, y compris au cinéma, dans des comédies musicales devenues des classiques, comme La Mélodie du bonheur et Sister Act.

Dans l’imaginaire populaire, les religieuses sont disciplinées, modestes, humbles, silencieuses et sexuellement abstinentes. Dans ces films, tout l’intérêt vient du fait que ces sœurs, actrices principales d’intrigues vibrantes, subvertissent les attentes concernant leur existence humble et apparemment passive.

L’obsession de la culture populaire pour les nonnes suscite à la fois l’intérêt et l’indignation parce qu’elle remet en cause l’orthodoxie religieuse, mais aussi les attentes sociales à l’égard des femmes et les présupposés culturels concernant leur corps. Les moines et les prêtres, par exemple, ne suscitent pas les mêmes inquiétudes et préoccupations.

Souvent dépeints comme inaccessibles ou célibataires, les prêtres peuvent être présentés comme « sexy » dans la culture pop sans susciter le même niveau d’indignation publique que des représentations similaires de femmes religieuses.

Les religieuses suscitent une forme d’inquiétude sociale parce qu’elles sont des femmes qui existent sans les hommes. La sexualisation des religieuses résulte de la rupture perçue des notions d’abstinence et de pureté, habituellement associées aux femmes qui sont entrées dans les ordres religieux.

Il serait réducteur de dire que l’usage de cette imagerie n’est qu’une tentative d’attirer l’attention et de susciter la controverse à peu de frais – même si c’est objectivement le cas.

Le symbolisme religieux est également un moyen important de soulever des questions et des débats sur des problèmes culturels importants, allant de la pertinence des institutions religieuses aux préjugés envers les femmes, en particulier les femmes de couleur. L’imagerie érotisée de Rihanna quand elle se présente en religieuse fonctionne donc comme une protestation contre les idéaux féminins de pudeur et de décence.

Le sein maternel en question

Sur la couverture du magazine Interview, Rihanna expose partiellement sa poitrine. Les seins exposés dans l’art religieux n’ont jamais suscité de controverse : il existe une d’innombrables « madones allaitantes » dans lesquelles Marie allaite l’enfant Jésus.

Bartolomé Bermejo, Mare de Déu de la Llet, Museu de Belles Arts de València, XV? siècle. Wikimedia

Ici, le sein nu ne provoque pas d’indignation parce qu’il s’agit d’une image axée sur la mère – Marie nourrissant l’enfant Jésus – et que la mère est vierge.

La religion joue un rôle important dans la culture contemporaine. En effet, si ces symboles et cette iconographie trouvent leurs racines dans les traditions religieuses, ils sont aussi des produits culturels, à tel point que la réaction contre Rihanna – et envers d’autres célébrités adoptant l’imagerie religieuse – est symptomatique de l’anxiété que suscite la perte de contrôle du christianisme sur ses symboles.

Il est donc révélateur que lorsqu’une femme s’exprime et décide de la façon dont elle a envie de se présenter, cela soit perçus par certains comme dangereux et blasphématoire. Au fond, cette réaction à la couverture d’Interview en dit beaucoup plus sur les attitudes sociales et culturelles à l’égard des femmes et de leur corps que sur Rihanna.

Chris Greenough, Reader in Social Sciences, Edge Hill University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

Il n’y a pas que les antibiotiques qui peuvent tuer les bactéries

D'autres classes de molécules que les antibiotiques ont des effets contre les bactéries. Myriam Zilles/Unsplash, CC BY
Mariana Noto Guillen, UMass Chan Medical School

L’histoire de l’humanité a été bouleversée par la découverte des antibiotiques en 1928. Les maladies infectieuses telles que la pneumonie, la tuberculose et la septicémie étaient très répandues et mortelles jusqu’à ce que les antibiotiques permettent de les traiter. Les interventions chirurgicales qui comportaient autrefois un risque élevé d’infection sont devenues plus sûres. Ces médicaments ont transformé la pratique médicale et sauvé d’innombrables vies.

Mais les antibiotiques ont un inconvénient majeur : lorsqu’ils sont utilisés à outrance, les bactéries peuvent développer une résistance. L’Organisation mondiale de la santé a estimé que ces superbactéries ont causé 1,27 million de décès dans le monde en 2019 et qu’elles deviendront probablement une menace croissante pour la santé publique mondiale dans les années à venir.

Mycobacterium tuberculosis est l’une des nombreuses espèces microbiennes qui ont développé une résistance contre plusieurs antibiotiques. Niaid/Flickr, CC BY

De nouvelles découvertes aident les scientifiques à relever ce défi. Des études ont montré que près d’un quart des médicaments qui ne sont pas normalement prescrits comme antibiotiques, tels que les médicaments utilisés pour traiter le cancer, le diabète et la dépression, peuvent tuer les bactéries à des doses généralement prescrites pour les humains.

La compréhension des mécanismes qui sous-tendent la toxicité de certains médicaments pour les bactéries pourrait avoir des implications considérables pour la médecine. Si les médicaments non antibiotiques ciblent les bactéries d’une manière différente des antibiotiques standard, ils pourraient servir de pistes pour le développement de nouveaux antibiotiques. Mais si les médicaments non antibiotiques tuent les bactéries de la même manière que les antibiotiques connus, leur utilisation prolongée, par exemple dans le traitement des maladies chroniques, pourrait involontairement favoriser la résistance aux antibiotiques.

Dans notre recherche récemment publiée, mes collègues et moi-même avons mis au point une nouvelle méthode d’apprentissage automatique (IA) qui non seulement identifie la manière dont les médicaments non-antibiotiques tuent les bactéries, mais peut également aider à trouver de nouvelles cibles bactériennes.

De nouvelles méthodes pour tuer les bactéries

De nombreux scientifiques et médecins du monde entier s’attaquent au problème de la résistance aux antibiotiques, y compris moi et mes collègues du Mitchell Lab à l’école de médecine UMass Chan. Nous étudions les mutations qui rendent les bactéries plus résistantes ou plus sensibles aux médicaments.

Lorsque mon équipe et moi-même avons appris que l’activité antibactérienne des non-antibiotiques était largement répandue, nous avons voulu relever un défi : comprendre comment ces médicaments tuent les bactéries.

Pour répondre à cette question, j’ai utilisé une technique de criblage génétique récemment mise au point par mes collègues pour étudier comment les médicaments anticancéreux ciblent les bactéries. Cette méthode permet d’identifier les gènes spécifiques et les processus cellulaires qui changent lorsque les bactéries mutent. En surveillant la façon dont ces changements influencent la survie des bactéries, les chercheurs peuvent déduire les mécanismes utilisés par ces médicaments pour tuer les bactéries.

J’ai recueilli et analysé près de 2 millions de cas de toxicité entre 200 médicaments et des milliers de bactéries mutantes. À l’aide d’un algorithme d’apprentissage automatique que j’ai développé pour déduire les similitudes entre différents médicaments, j’ai regroupé les médicaments dans un réseau en fonction de la façon dont ils affectaient les bactéries mutantes.

Mes cartes ont clairement montré que les antibiotiques connus étaient étroitement regroupés en fonction de leurs classes connues de mécanismes d’action. Par exemple, tous les antibiotiques qui ciblent la paroi cellulaire – l’épaisse couche protectrice qui entoure les cellules bactériennes – étaient regroupés et bien séparés des antibiotiques qui interfèrent avec la réplication de l’ADN des bactéries.

Curieusement, lorsque j’ai ajouté des médicaments non antibiotiques à mon analyse, ils ont formé des noyaux distincts de ceux des antibiotiques. Cela indique que les médicaments non antibiotiques et les antibiotiques ont des moyens différents de tuer les cellules bactériennes. Bien que ces regroupements ne révèlent pas comment chaque médicament tue spécifiquement les antibiotiques, ils montrent que ceux qui sont regroupés agissent probablement de manière similaire.

Dans ce test de sensibilité aux antibiotiques, la bactérie MRSA colonisant cette boîte de Petri ne se développera pas en présence de l’antibiotique vancomycine. Rodolfo Parulan Jr./Moment via Getty Images

La dernière pièce du puzzle, à savoir la possibilité de trouver de nouvelles cibles dans les bactéries pour les tuer, est venue des recherches de ma collègue Carmen Li. Elle a cultivé des centaines de générations de bactéries qui ont été exposées à différents médicaments non antibiotiques normalement prescrits pour traiter l’anxiété, les infections parasitaires ou le cancer. Le séquençage des génomes des bactéries qui ont évolué et se sont adaptées à la présence de ces médicaments nous a permis d’identifier la protéine bactérienne spécifique que le triclabendazole – un médicament utilisé pour traiter les infections parasitaires – cible pour tuer la bactérie. Il est important de noter que les antibiotiques actuels ne ciblent généralement pas cette protéine.

En outre, nous avons découvert que deux autres non-antibiotiques utilisant un mécanisme similaire à celui du triclabendazole ciblent également la même protéine. Cela a démontré la capacité de mes cartes de similarité des médicaments à identifier des médicaments ayant des mécanismes de destruction similaires, même lorsque ces mécanismes sont encore inconnus.

Contribuer à la découverte d’antibiotiques

Nos résultats ouvrent aux chercheurs de multiples possibilités d’étudier comment les médicaments non antibiotiques agissent différemment des antibiotiques standards. Notre méthode de cartographie et de test des médicaments pourrait également permettre de remédier à un goulot d’étranglement critique dans la mise au point d’antibiotiques.

La recherche de nouveaux antibiotiques implique généralement de consacrer des ressources considérables à l’analyse de milliers de produits chimiques qui tuent les bactéries et à la détermination de leur mode d’action. La plupart de ces produits chimiques s’avèrent fonctionner de la même manière que les antibiotiques existants et sont rejetés.

Nos travaux montrent que la combinaison du criblage génétique et de l’apprentissage automatique peut aider à découvrir l’aiguille chimique dans la botte de foin qui peut tuer les bactéries par des moyens que les chercheurs n’ont pas encore utilisés. Il existe différents moyens de tuer les bactéries que nous n’avons pas encore exploités, et il reste encore des voies à suivre pour lutter contre la menace des infections bactériennes et de la résistance aux antibiotiques.

Mariana Noto Guillen, Ph.D. Candidate in Systems Biology, UMass Chan Medical School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Comment les souvenirs sont-ils stockés dans notre cerveau ?

Image de microscope où les neurones de l’hippocampe (région essentielle à la mémoire), connectés avec les régions du cortex, sont rendus fluorescents. Maxime Villet et Clara Sanchez, Fourni par l'auteur
Maxime Villet, Université Côte d’Azur

La mémoire est une aptitude essentielle qui nous permet d’intégrer, de conserver et de restituer les informations auxquelles nous sommes confrontés. Cette fonction n’est pas assurée par une structure précise du cerveau, mais par un ensemble de neurones connectés en réseau et répartis dans différentes régions. La mémoire constitue le fondement de notre intelligence et de notre identité, en regroupant savoir-faire et souvenirs.

Le processus de la mémoire débute par l’encodage, où les informations captées par les organes sensoriels sont transformées en traces de mémoire, appelées engrammes. Ces engrammes désignent un groupe spécifique de neurones activés en réponse à une information, tel qu’un texte que vous venez de lire, par exemple. Ensuite, lors de la consolidation, ces informations sont renforcées pour un stockage à long terme. Enfin, le rappel permet de solliciter à tout moment une information, permettant ainsi l’adaptation du comportement en fonction des expériences passées. L’oubli survient en cas d’absence d’accès à ces informations. Bien que la mémoire puisse prendre différentes formes, elle est souvent soutenue par un engramme présent dans diverses régions cérébrales. Dans cet article, nous allons revenir sur ces différentes étapes de la vie d’un souvenir dans le cerveau.

L’engramme : un concept ancien réétudié au regard de techniques modernes

Les prémices de la compréhension de la mémoire en tant que modifications durables du cerveau remontent à Aristote et Platon, vers 350 avant notre ère. Le concept scientifique de ces altérations a été initié il y a plus de 100 ans par le biologiste allemand Richard Semon. C’est lui qui nomme et définit l’engramme comme la base neuronale du stockage et de la récupération des souvenirs.

Les fondements de la recherche moderne sur ce sujet remontent aux idées influentes de Ramón y Cajal, neurobiologiste espagnol lauréat du prix Nobel de physiologie en 1906, et soutenant que l’expérience modifie les connexions neuronales. On sait en effet depuis la moitié du XXe siècle que l’activation simultanée de cellules interconnectées renforce leurs connexions. La résurgence récente des études sur les engrammes est la conséquence des avancées techniques permettant désormais de cibler précisément les neurones, facilitant ainsi leur compréhension.

Un réseau de neurones qui se renforce

Une synapse entre deux neurones : le message nerveux est transmis grâce à des neurotransmetteurs (en jaune), des molécules qui se fixent sur les récepteurs (rose) du neurone suivant. Chengpeng Jiang et al, CC BY

À la lumière de ces découvertes, nous avons maintenant pu affiner notre compréhension de ce qu’est un engramme. Fondamentalement, la création d’un engramme résulte du renforcement des connexions entre les groupes de neurones actifs en même temps pendant l’apprentissage. Les connexions entre les neurones se produisent au niveau d’une synapse, formée par la liaison entre deux extrémités neuronales. Ces connexions synaptiques résultent en la formation de groupes de neurones travaillant ensemble : c’est l’engramme proprement dit. Ainsi, lorsqu’une information est stockée dans le cerveau, elle est représentée par un réseau de neurones interconnectés entre eux, mais qui ne se situent pas forcément dans la même zone. Ces neurones ne sont d’ailleurs pas spécifiques à la mémoire, et en plus d’intégrer l’engramme, ils continuent d’interagir au sein de réseaux différents pour remplir d’autres fonctions.

Le stockage d’un souvenir sur une longue période entraîne des changements qui se manifestent à plusieurs niveaux. Ces ajustements se caractérisent par une augmentation du nombre de prolongements neuronaux, augmentant ainsi le nombre de synapses et donc la connexion entre neurones. Ce renforcement des connexions synaptiques augmente alors la probabilité qu’un schéma d’activité neuronale qui s’est produit pendant l’apprentissage soit reproduit ultérieurement lors du rappel, facilitant ainsi la récupération du souvenir. Pour illustrer ce concept de manière concrète, imaginez avoir passé un moment dans un champ de lavande. La vue de la couleur violette ou l’odeur de la lavande déclenchera l’activation du réseau de neurones qui était actif lors de votre promenade dans ce champ, ravivant ainsi votre souvenir.

Cet engramme peut adopter différents états, soit actif lorsque vous vous remémorez une information, soit dormant, jusqu’à ce que le souvenir refasse surface. Il peut aussi être indisponible, ce qui signifie qu’il existe mais qu’il ne peut plus être activé par un stimulus externe.

Les états dynamiques de l’engramme : une cartographie des phases d’apprentissage, de consolidation, de rappel et d’oubli. Maxime Villet, Fourni par l'auteur

Encodage, consolidation et rappel : les étapes clés du souvenir

Pendant l’apprentissage, les informations qui sont répétées ou qui portent une forte charge émotionnelle sont plus susceptibles d’être mémorisées. Lors de leur intégration dans le cerveau, une compétition entre les neurones se met en place dans différentes régions cérébrales pour être recrutés dans la formation d’un engramme. Les neurones les plus actifs en lien avec les informations sensorielles du souvenir l’emportent et deviennent des cellules d’engramme. Cette coordination entre neurones actifs renforce les connexions synaptiques entre ces neurones, amorçant ainsi la formation du réseau constituant l’engramme.

Pendant la consolidation, l’engramme subit une transformation de son état initial instable et sensible aux perturbations vers un état plus durable et résistant. Cette transition est permise grâce à certaines protéines essentielles à l’activité des neurones et à leurs connexions. Ce processus intervient pendant le sommeil, où l’on observe une réactivation des neurones impliqués.

En présence dans notre environnement d’éléments similaires à ceux du souvenir, ce dernier peut alors ressurgir : c’est le rappel. Ce processus implique la réactivation de l’engramme. Pendant le rappel, les neurones qui étaient actifs lors de l’apprentissage se réactivent. Mais au moment de la récupération, le souvenir peut devenir temporairement instable, déstabilisant l’engramme qui la soutient. De nouvelles connexions peuvent se former tandis que d’autres peuvent se perdre. Par exemple, lorsque vous partagez un souvenir avec une autre personne, vous le décrivez avec votre subjectivité, ce qui peut entraîner des modifications de l’événement par rapport à comment il s’est réellement déroulé. Ces modifications peuvent être intégrées comme faisant partie du souvenir lui-même à force d’être racontées ou rappelées.

Pourquoi les souvenirs changent-ils au fil du temps ?

L’engramme n’est donc pas immuable. Un souvenir se modifie aussi avec le temps en fonction du degré d’émotion qu’on lui associe. On peut alors en perdre les détails pour ne garder qu’une sensation positive ou négative selon l’importance qu’a ce souvenir pour nous. Prenons l’exemple d’un ancien souvenir de vacances à la plage, où vous ne vous souvenez que de la sensation agréable de la chaleur, sans vous rappeler les détails précis tels que la date ou l’heure. Au niveau cérébral, cela se traduit par une modification du nombre de neurones et de connexions associés à ce souvenir.

Quant à l’oubli, c’est un phénomène généralement défini comme l’absence de manifestation comportementale d’un souvenir, même s’il aurait pu être rappelé avec succès auparavant. Par exemple, cet oubli peut se produire lorsqu’on vous demande la date de décès de Vercingétorix : vous avez appris à l’école qu’il s’agit de 46 av. J.-C., mais vous l’avez oubliée par la suite car elle n’avait peut-être plus d’utilité dans votre vie.

L’oubli peut aussi être pathologique, et associé à certaines maladies telles que la maladie d’Alzheimer. Même si les informations sont d’une importance émotionnelle réelle, comme le prénom de vos parents, la maladie peut vous empêcher d’y accéder. Selon cette perspective, l’oubli peut alors résulter soit d’une dégradation totale de l’engramme, entraînant une indisponibilité de la mémoire, soit d’un problème de rappel. Le cerveau étant un organe très plastique, il peut arriver qu’il y ait des modifications synaptiques au niveau d’un engramme, ce qui le déstabilise et augmente alors la probabilité d’oubli.

Un espoir pour retrouver les souvenirs disparus

Cependant, ce remodelage ne conduit pas nécessairement à un effacement complet de la mémoire, mais plutôt à un silence de l’engramme. Des engrammes « silencieux » ont par exemple été observés chez des souris amnésiques, et la réactivation artificielle de ces engrammes permet une récupération de la mémoire, alors que les indices naturels dans l’environnement ne le peuvent pas. Ces résultats suggèrent que l’oubli est souvent dû à un échec de récupération de la mémoire, plutôt qu’à son effacement complet. Une des hypothèses avancées pour les maladies touchant la mémoire serait que les souvenirs peuvent être silencieux plutôt que perdus à proprement parler.

Notre étude, en cours de publication, utilise des outils chez la souris pour enregistrer l’activité directe des neurones formant l’engramme à différentes étapes de sa formation. Grâce à l’activité de ces neurones et aux outils développés en collaboration avec des mathématiciens, nous reconstruisons les cartes de connectivité fonctionnelle définissant l’engramme. Cette connectivité correspond au fait que l’on peut associer l’activité des neurones enregistrés avec les actions réalisées par la souris pendant cet enregistrement. Ainsi nous pouvons suivre l’engramme au cours des processus d’apprentissage, de consolidation, de rappel et d’oubli et étudier sa dynamique. À long terme, l’objectif serait d’exploiter ces résultats afin de mieux appréhender l’acquisition, le stockage et l’utilisation de l’information chez les humains, et ainsi de potentiellement faciliter le traitement des troubles de la mémoire et d’autres dysfonctionnements cognitifs.

Maxime Villet, Doctorant en neurobiologie comportementale, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

La pornographie générée par l'IA perturbera l'industrie du sexe et soulèvera de nouvelles préoccupations éthiques

There are benefits and negative impacts to the applications of AI in pornography. (Shutterstock)
Valerie A. Lapointe, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Simon Dubé, Indiana University

L’intelligence artificielle (IA) transforme déjà de nombreuses industries, de la médecine et l’éducation à la science et la finance. L’IA s’apprête à perturber un autre marché : la pornographie.

Les avancées en matière d’apprentissage automatique et d’algorithmes d’IA pour la production d’images et de vidéos ont contribué à la croissance des sites de pornographie générée par l’IA.

La production massive de pornographie IA pose des implications éthiques et sociales.

D’une part, ces nouveaux outils permettent aux créateurs de contenu de produire du contenu érotique diversifié tout en réduisant considérablement les coûts de production. Il offre un accès généralisé à des stimuli sexuels personnalisés répondant aux besoins et désirs des individus, améliorant ainsi leur vie sexuelle et leur bien-être.

D’autre part, ces derniers peuvent mener à une surconsommation problématique de pornographie, la propagation de deepfakes et la production de contenu illégal tel que la pornographie juvénile.

La pornographie générée par l’IA a également des implications en matière de travail, et pourrait créer des problèmes de droits d’auteur ainsi qu’avoir un impact sur les emplois des travailleurs du sexe et des créateurs de contenu pour adultes.

Il est probable que l’impact de la pornographie générée par l’IA soit plus nuancé : certains utilisateurs en bénéficieront, tandis que d’autres pourraient en subir les conséquences. Cependant, le rythme des développements technologiques laisse peu de temps pour planifier et étudier comment intégrer harmonieusement cette nouvelle technologie dans nos vies. Comme dans de nombreux autres secteurs, nous ne sommes pas prêts pour la pornographie générée par l’IA.

Les applications croissantes de l’IA dans divers secteurs est en train de transformer notre quotidien. (Shutterstock)

La pornographie personnalisée

Le contenu pour adultes généré par l’IA a commencé avec des images, comme l’industrie des magazines autrefois. L’histoire et les tendances technologiques actuelles indiquent toutes deux que la prochaine étape de la production érotique sera plus sophistiquée et plus complexe.

Actuellement, il existe plus de 50 sites web gratuits proposant de la pornographie générée par l’IA, et ce nombre ne fera qu’augmenter. Des sites tels que Candy.ai, Lustlab.ai et Pornify.cc permettent aux consommateurs de créer des personnages générés par l’IA selon leurs propres préférences, donnant ainsi vie à leurs fantasmes.

Les utilisateurs peuvent générer des images en écrivant des indications textuelles ou en sélectionnant des caractéristiques spécifiques, telles que l’âge, le genre, la coiffure, l’origine ethnique et d’autres attributs corporels. Ils peuvent également choisir des vêtements, des positions, des lieux, des comportements et des expressions faciales, ainsi qu’opter pour des personnages réalistes ou animés.

Cela permet une immense diversité en termes d’images et de personnages pouvant être générés. Sans surprise, la majorité du contenu met en vedette des femmes et des corps féminins.

L’IA sophistiquée

En plus des images, certains sites offrent désormais la possibilité de générer de courtes vidéos. Ces clips présentent généralement une brève séquence répétée d’une action spécifique. Malgré leurs modestes débuts, ces clips laissent entrevoir l’avenir de la pornographie générée par l’IA : des vidéos pornographiques de longue durée, complexes et entièrement personnalisables, créées par des professionnels, des amateurs ou même l’IA elle-même.

Il existe déjà des générateurs de texte-à-vidéo plus complexes, mais la sortie attendue du modèle Sora d’OpenAI laisse entrevoir des progrès significatifs en matière de génération de vidéos, notamment en ce qui concerne son niveau élevé de réalisme, la création de scènes complexes et la longueur inégalée.

Bien que Sora limitera son utilisation, interdisant aux utilisateurs de générer du contenu sexuel sur la plate-forme, cette technologie sous-jacente finira forcément par se retrouver dans des vidéos pornographiques générées par l’IA.

Au-delà des images et des vidéos, plusieurs sites permettent également aux utilisateurs de dialoguer avec un chatbot sexuel. Les utilisateurs peuvent personnaliser leur propre chatbot, en spécifiant leurs traits de personnalité, leur apparence et leurs préférences.

Lorsqu’un utilisateur crée un compte, le site conserve un enregistrement des conversations précédentes afin de faciliter une interaction continue. Grâce à ce dialogue soutenu, l’IA peut fournir des images personnalisées ou même proposer des appels vocaux confidentiels.

Ce cadre est conçu pour offrir une expérience de partenariat romantique ou sexuel — ce qui laisse entrevoir, une fois de plus, l’avenir de la pornographie, soit celle combinée à des compagnons artificiels.

Avec l’essor des environnements de réalité virtuelle et augmentée, nous pouvons également prévoir que — comme pour la pornographie actuelle — la pornographie IA offrira bientôt des expériences de plus en plus immersives.

La pornographie générée par l’IA a des applications dans la thérapie sexuelle et l’éducation. (Shutterstock)

Avantages et préoccupations

L’avènement de la pornographie générée par l’IA soulève plusieurs préoccupations. Tout d’abord, la nature hautement personnalisable et immersive de l’IA pornographique pourrait renforcer les comportements compulsifs. Les utilisateurs pourraient se trouver progressivement entraînés dans un monde où leurs désirs sont continuellement satisfaits, ce qui accroîtrait les risques de dépendance et d’isolement social.

La récente création et diffusion de deepfakes pornographiques mettant en scène Taylor Swift a mis en lumière la question du consentement et du contenu sexuellement explicite généré par l’IA. Des études indiquent qu’environ 98 % des vidéos deepfake trouvées en ligne sont de nature pornographique, les femmes étant les cibles principales dans presque tous les cas.

La pornographie par IA pourrait également compromettre les moyens de subsistance des travailleurs du sexe et des créateurs de contenu pour adultes, posant des risques tangibles pour les artistes de perdre de l’audience et des revenus à mesure qu’ils entrent en concurrence avec le flux de contenu généré par l’IA.

Les créateurs de pornographie par IA pourraient également utiliser la technologie pour produire d’autres contenus illégaux, tels que la pornographie juvénile.

À l’inverse, la pornographie IA pourrait être utilisée pour améliorer le plaisir sexuel, les individus pouvant matérialiser leurs fantasmes les plus intimes en seulement quelques clics.

Cette technologie pourrait également être utilisée pour la recherche sur la sexualité en contribuant à une meilleure compréhension de l’étendue et de la nature des désirs et des fantasmes humains, de même qu’en fournissant des stimuli sécuritaires, standardisés et interactifs dans le cadre d’études scientifiques. Elle peut aussi être utilisée dans l’éducation pour présenter la diversité des corps et des préférences.

La pornographie IA a des applications en thérapie. Elle peut offrir des stimuli adaptés pour évaluer et traiter les peurs ou les difficultés sexuelles basées sur l’anxiété, par exemple, à travers l’exposition à des contenus sexuels de plus en plus intenses. Elle pourrait également servir d’outil aux individus pour apprendre à gérer des relations sexuelles et amoureuses saines. Enfin, l’IA pourrait fournir aux créateurs de contenu pour adultes des outils pour développer leur entreprise.

Le futur de la pornographie

Bien que des lois pourraient être mises en place pour atténuer les risques associés au contenu sexuellement explicite généré par l’IA, il serait primordial d’éduquer les utilisateurs et les créateurs dans la pratique du consentement. Plus de recherches sont également nécessaires pour comprendre l’influence de cette technologie et orienter son développement.

L’essor de l’intelligence artificielle promet de transformer l’industrie pornographique, mais ses répercussions sur l’intimité et la sexualité humaine demeurent à déterminer.

Valerie A. Lapointe, PhD candidate in psychology, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Simon Dubé, Research Fellow, Kinsey Institute, Indiana University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de stockgiu sur Freepik

Pour les Mayas, les éclipses solaires étaient le signe d’affrontements entre les dieux

La pyramide El Castillo illuminée la nuit sous un ciel étoilé à Chichen Itza, au Mexique, l'une des plus grandes cités mayas. Matteo Colombo/DigitalVision via Getty Images
Kimberly H. Breuer, University of Texas at Arlington

Nous vivons dans un monde pollué par la lumière, où les réverbères, les panneaux publicitaires et même l’éclairage des jardins masquent tous les objets célestes du ciel nocturne, à l’exception des plus brillants.

Les sociétés prémodernes observaient le ciel et créaient des cosmographies, des cartes du ciel qui fournissaient des informations pour les calendriers et les cycles agricoles. Elles ont également créé des cosmologies qui, dans l’usage originel du mot, étaient des croyances religieuses expliquant l’univers. Les dieux et les cieux étaient inséparables.

Les cieux sont ordonnés et cycliques par nature ; il suffit d’observer et d’enregistrer suffisamment longtemps pour en déterminer les rythmes. De nombreuses sociétés étaient capables de prédire avec précision les éclipses de Lune, et certaines pouvaient également prédire les éclipses de soleil – comme celle qui se produira en Amérique du Nord le 8 avril 2024.

Le couloir où l’on observera l’éclipse totale, où la Lune bloquera entièrement le Soleil, traversera le Mexique sur la côte Pacifique avant d’entrer aux États-Unis au Texas, où j’enseigne l’histoire des technologies et des sciences, et sera vu comme une éclipse partielle à travers les terres des anciens Mayas. Cette éclipse fait suite à l’éclipse annulaire d’octobre 2023, au cours de laquelle il a été possible d’observer l’« anneau de feu » autour du Soleil depuis de nombreuses ruines mayas antiques et certaines parties du Texas.

Il y a des millénaires, deux éclipses solaires de ce type sur une même région en l’espace de six mois auraient provoqué une frénésie d’activité chez les astronomes, les prêtres et les dirigeants mayas. J’ai été témoin d’une frénésie similaire, bien que pour des raisons différentes, ici dans la région de Dallas-Fort Worth, où nous nous trouverons sur la trajectoire de la totalité de l’éclipse. Pendant cette période entre les deux éclipses, je me suis sentie privilégiée de partager mon intérêt pour l’histoire de l’astronomie avec les étudiants et la communauté.

Des astronomes du passé

Les anciens Mayas étaient sans doute l’une des plus grandes sociétés d’astronomes. Mathématiciens accomplis, ils enregistraient des observations systématiques sur le mouvement du Soleil, des planètes et des étoiles.

À partir de ces observations, ils ont créé un système de calendrier complexe pour réguler leur monde, l’un des plus précis de l’ère pré-moderne.

Les astronomes observaient attentivement le soleil et alignaient des structures monumentales, telles que les pyramides, pour suivre les solstices et les équinoxes. Ils ont également utilisé ces structures, ainsi que des grottes et des puits,

– les deux moments de l’année sous les tropiques où le Soleil est directement au-dessus de la tête et où les objets verticaux ne projettent pas d’ombre.

Les scribes mayas consignaient les observations astronomiques dans des codex, des livres pliants hiéroglyphiques fabriqués à partir de papier d’écorce de figuier. Le Codex de Dresde, l’un des quatre textes mayas encore existants, date du XIe siècle. Ses pages contiennent un grand nombre de connaissances astronomiques et d’interprétations religieuses et prouvent que les Mayas pouvaient prédire les éclipses solaires.

Grâce aux tables astronomiques du codex, les chercheurs d’aujourd’hui savent que les Mayas suivaient les nœuds lunaires, les deux points où l’orbite de la Lune croise l’écliptique – le plan de l’orbite de la Terre autour du Soleil, qui, de notre point de vue, est la trajectoire du Soleil dans notre ciel. Ils ont également créé des tableaux divisés en saisons d’éclipses solaires de 177 jours, marquant les jours où des éclipses étaient possibles.

Affrontements divins

Mais pourquoi investir autant dans le suivi du ciel ?

La connaissance, c’est le pouvoir. Si l’on sait ce qui se passe au moment de certains événements célestes, on peut prévoir et prendre les précautions nécessaires lorsque les cycles se répètent. Les prêtres et les dirigeants savaient comment agir, quels rituels accomplir et quels sacrifices faire aux dieux pour garantir que les cycles de destruction, de renaissance et de renouvellement se poursuivent.

Panneaux d’éclipse dans le Codex de Dresde. Université et bibliothèque d’État de Saxe -- Dresde

Dans le système de croyances des Mayas, les couchers de soleil étaient associés à la mort et à la décomposition. Chaque soir, le dieu du soleil, Kinich Ahau, effectuait le périlleux voyage à travers Xibalba, le monde souterrain maya, pour renaître au lever du soleil. Les éclipses solaires étaient perçues comme « un soleil brisé », signe d’une possible destruction cataclysmique.

Kinich Ahau était associé à la prospérité et à l’ordre. Son frère Chak Ek – l’étoile du matin, que nous connaissons aujourd’hui comme la planète Vénus – était associé à la guerre et à la discorde. Ils entretenaient une relation conflictuelle, se battant pour la suprématie.

Leur combat pouvait être observé dans les cieux. Lors des éclipses solaires, des planètes, des étoiles et parfois des comètes peuvent être observées pendant la totalité de l’éclipse. Si elle est positionnée correctement, Vénus brillera près du Soleil éclipsé, ce que les Mayas ont interprété comme l’attaque de Chak Ek. Le Codex de Dresde y fait allusion en montrant un dieu Vénus plongeant dans les tables d’éclipses solaires, ainsi que la coordination des éclipses solaires avec les cycles de Vénus dans le Codex de Madrid, un autre livre pliant maya de la fin du XVe siècle.

Une illustration du Codex de Dresde montre le dieu Vénus descendant d’une bande de ciel contenant des symboles solaires et lunaires. Saxon State and University Library -- Dresden

Kinich Ahau – le Soleil – étant caché derrière la Lune, les Mayas pensaient qu’il était en train de mourir. Des rituels de renouvellement étaient nécessaires pour rétablir l’équilibre et le remettre sur la bonne voie.

Les nobles, en particulier le roi, pratiquaient des sacrifices de saignée, se transperçant le corps et recueillant les gouttes de sang pour les brûler en offrande au dieu Soleil. Ce « sang des rois » était la forme la plus élevée de sacrifice, destiné à renforcer Kinich Ahau. Les Mayas croyaient que les dieux créateurs avaient donné leur sang et l’avaient mélangé à de la pâte de maïs pour créer les premiers humains. À leur tour, les nobles donnaient une petite partie de leur propre force vitale pour nourrir les dieux.

Le temps se fige

À l’approche de l’éclipse d’avril, j’ai l’impression d’achever un cycle personnel qui me ramène à des parcours professionnels antérieurs : d’abord en tant qu’ingénieur aérospatial qui adorait ses cours de mécanique orbitale et aimait faire de l’astronomie dans son jardin ; puis en tant que doctorant en histoire, étudiant la façon dont la culture maya a perduré après la conquête espagnole.

Une image du dieu soleil maya Kinich Ahau, réalisée entre le sixième et le neuvième siècle, aujourd’hui conservée au Musée national d’anthropologie du Mexique. DeAgostini/Getty Images

Pour moi, tout comme pour les anciens Mayas, l’éclipse solaire totale sera l’occasion non seulement de lever les yeux, mais aussi d’envisager le passé et l’avenir. Regarder l’éclipse est une chose que nos ancêtres ont faite depuis des temps immémoriaux et qu’ils feront encore à l’avenir. C’est un spectacle grandiose au sens premier du terme : pendant quelques instants, on a l’impression que le temps s’arrête, car tous les regards se tournent vers le ciel, et qu’il converge, car nous participons au même spectacle que nos ancêtres et nos descendants.

Que vous croyiez aux messages divins, aux batailles entre Vénus et le soleil ou à la beauté de la science et du monde naturel, cet événement rassemble les gens. C’est une leçon d’humilité, et c’est aussi très, très cool.

J’espère simplement que Kinich Ahau nous fera l’honneur de sa présence dans un ciel sans nuages et qu’il vaincra une fois de plus Vénus.

Kimberly H. Breuer, Associate Professor of Instruction, University of Texas at Arlington

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.