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Les femmes et les hommes sont-ils égaux face au télétravail ?

46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes. Pickpic, CC BY-SA
Gabrielle Schütz, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Céline Dumoulin, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le télétravail s’est particulièrement développé, l’enquête de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la majeure partie du travail domestique avant comme pendant la pandémie.

Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.

Enfin, dans la mesure où elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public et sont plus exposées à effectuer du « travail émotionnel » avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.

Le télétravail, plus contraignant au féminin

Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).

Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.

A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).

Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées pas forcément plus longues mais plus intenses, d’autant plus qu’elles restent moins bien équipées par leurs entreprises et qu’elles sont plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).

Carence d’information

Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).

Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).

Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.

Le télétravail a souvent « mauvais genre »

L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et même un peu plus, pendant longtemps le télétravailleur type était un homme, cadre, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.

Avant la pandémie encore, le télétravail occasionnel prédomine sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la multiplication des accords de télétravail pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.

Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les enquêtes ethnographiques au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.

Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.

Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.

Dans d’autres organisations, une orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.

Pour autant, cette figure, construite au « masculin-neutre », peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.

Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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« Enfants influenceurs » : est-ce bien raisonnable ?

Elodie Jouny-Rivier, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, ICN Business School

Ils s’appellent Swan, Kalys, Athena, Ryan, Mila, Lili-Rose ou Hugo. Ils ont entre 3 et 15 ans, et ils sont suivis par des millions de fans sur YouTube, TikTok, Instagram ou Snapchat. Ce sont des enfants influenceurs. Ces enfants mineurs, parfois même encore bébés, sont exposés quotidiennement par leurs parents aux « vues » et au su de toute la toile.

Derrière ces publications en apparence innocentes et spontanées se cache souvent un véritable business. En France, pas moins de 70 % des parents influenceurs déclarent ainsi gagner jusqu’à 5 000 euros par mois grâce aux nombreux partenariats commerciaux qu’ils signent avec les marques, de quoi donc en tirer leur principale source de revenus.

Pour ce faire, ils n’hésitent pas à mettre en scène leurs enfants, le but étant de capter et de fidéliser leur audience à tout prix. Déballages de cadeaux, sketchs humoristiques, challenges, tests de jouets, les enfants sont mis à rude épreuve pour faire grimper les audiences.

Certains enfants, dits « kid influencers » possèdent même leur propre compte. C’est le cas de Tiago, 4 ans, dont le compte Instagram, créé par ses parents Manon et Julien Tanti, stars de la téléréalité, dénombre plus de 1,3 million d’abonnés.

Ces parents influenceurs se présentent le plus souvent comme des modèles de réussite, capables d’offrir à leurs enfants une existence de rêve, remplie de voyages, de cadeaux, de loisirs… Mais à quel prix ?

Une enfance parfois mise en danger

En effet, cette exposition n’est pas sans conséquence sur le développement psychologique et social et social de l’enfant. En témoigne la youtubeuse Emma, star de TikTok, qui affiche près de 2 millions d’abonnés sur le réseau social. La jeune femme de 20 ans confie sans détour avoir été victime de cyberharcèlement durant ses années lycée à travers les moqueries et les messages haineux de certains internautes.

Encore plus inquiétant, Ruby Franke, une influenceuse américaine en parentalité suivie par près de 2,5 millions d’abonnés pour ses conseils éducatifs, a été condamnée en février 2024 à une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison pour maltraitance sur ses enfants. Elle affichait pourtant une vie parfaite avec son mari et ses 6 enfants sur une chaîne YouTube « 8 Passengers », désactivée depuis.

Le scandale a éclaté lorsque l’un de ses enfants, âgé de 12 ans, s’est échappé par la fenêtre de leur domicile, révélant des conditions de malnutrition et de maltraitance extrêmes. Les autorités ont découvert qu’elle malmenait également ses autres enfants, allant jusqu’à les forcer à effectuer des travaux physiques pénibles sans eau ni nourriture en pleine chaleur.

Une prise de conscience nécessaire

Le 6 février 2024, une nouvelle proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants est venue compléter la précédente, datée du 19 octobre 2020. Le texte vient renforcer l’obligation des parents de veiller à la vie privée de leur enfant, y compris son droit à l’image, et leur interdit de publier ou de diffuser toute image de leur enfant sans son consentement éclairé. Elle permet également au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou de diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent, notamment en cas de conflit ou de danger pour l’enfant.

Il s’agit bien là d’une avancée importante en faveur de la protection des enfants influenceurs. Pourtant, il reste encore du chemin à parcourir. En effet, le fait même que le législateur ait été obligé d’apporter un cadre juridique à ces nouvelles pratiques devrait nous interroger, en tant que société, sur nos pratiques numériques et sur la responsabilité collective mais aussi avant tout individuelle, de tous les acteurs.

En premier lieu, les parents influenceurs doivent davantage se responsabiliser. Leur rôle reste essentiel dans l’encadrement de cette pratique, et pour le respect de l’épanouissement de leurs enfants à travers leur droit à l’image et à leur intimité. Tout signe de stress ou de fatigue présenté par l’enfant doit les alerter sur le potentiel mal-être de leur progéniture. Après tout, leurs enfants sont des enfants comme les autres ; ils ont aussi droit à une enfance comme les autres.

En parallèle, les marques qui font appel à des « kid influencers » ou à leurs parents pour promouvoir leurs produits doivent assumer une responsabilité essentielle. En effet, notre travail de recherche présenté à une conférence en 2022 met en lumière une relation de co-création de contenu entre l’influenceur et la marque, incitant les entreprises à accorder une certaine liberté aux influenceurs dans la création de contenu. Cependant, il reste crucial que cette approche ne détourne pas l’attention des marques des conditions de travail des enfants impliqués.

« Je protège mon enfant »

Les plates-formes en ligne doivent également assumer leur mission de protection en garantissant la sécurité et la modération des contenus impliquant des enfants. Cela passe par des campagnes de sensibilisation, à l’image de celle proposée par le gouvernement en février 2023, et d’accompagnement des parents influenceurs. Tout contenu dérangeant ou sensible concernant les enfants doit ainsi être retiré et déréférencé.

Enfin, les internautes ont eux aussi leur part de responsabilité dans cette situation. Leurs réactions, parfois empreintes de violence, peuvent sérieusement affecter le bien-être des enfants. De plus, ils possèdent le pouvoir, à travers un simple clic, de signaler voire de boycotter les contenus qui portent atteinte aux droits des enfants.

Vidéo de la campagne « Je protège mon enfant » lancée par le gouvernement en février 2023.

En France, il existe des exemples de bonnes pratiques ou d’initiatives visant à protéger les droits et l’intérêt des enfants sur les réseaux sociaux. Par exemple, l’association e-Enfance, reconnue d’utilité publique, propose des actions de sensibilisation, d’accompagnement et de défense des enfants et des adolescents sur Internet. Elle anime notamment le dispositif Net Ecoute, qui offre un service gratuit et anonyme d’écoute, de conseil et d’orientation pour les jeunes victimes de cyberharcèlement, de cybersexisme, ou encore de cyberpornographie.

Un autre exemple est celui de la chaîne YouTube « Les petits citoyens ». Créés par l’association éponyme, ses contenus visent à éduquer les enfants aux valeurs de la République, à la citoyenneté et aux droits de l’homme. Cette chaîne propose des vidéos ludiques et pédagogiques qui abordent de nombreux sujets de société tels que la liberté d’expression, la laïcité pour n’en citer que quelques-uns.

Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, Professeure Associée - Département Marketing, ICN Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les « influenceurs familles », précieux ambassadeurs des marques sur le marché convoité des jeunes parents

Sur les quelque 150 000 influenceurs recensés en France, près de 4000 sont des influenceurs parentaux. Flickr/Marco Verch, CC BY-SA
Elodie Jouny-Rivier, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, ICN Business School

Appelés « Influenceurs parentaux » ou « Influenceurs familles », de nombreux parents deviennent des prescripteurs de produits auprès d’autres parents. Certains sont même considérés comme de véritables « stars » sur les réseaux sociaux. Leurs comptes, à l’image de celui de Roxanne sur Instagram (@Babychoufamily qui affiche plus de 630 000 abonnés, sont devenus des ambassadeurs incontournables pour les marques cherchant à promouvoir des

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Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, 1,1 % des parents français d’enfants de moins de 16 ans sont influenceurs aujourd’hui et tirent un avantage de leurs publications. Selon une étude de l’Institut Reech menée en 2022, cela représente environ 3 875 influenceurs parentaux sur un total de 150 000 influenceurs recensés en France. Pour la moitié de ces influenceurs, cette activité est même devenue leur principale source de revenus.

Le point commun de ces influenceurs familles ? Leur capacité à toucher un segment de marché très spécifique et convoité : les nouveaux parents.

Une dose de second degré

Comment réussissent-ils à influencer ces parents ? Leur arme secrète, c’est le « parler vrai », le récit de leur quotidien avec son lot de réussites et de difficultés, le tout saupoudré de conseils et de bons plans.

La méthode est toujours la même : les influenceurs testent des produits liés à la parentalité, le plus souvent des jouets, des vêtements de maternité, de la nourriture pour enfants ou encore des couches pour bébés. Ils partagent leurs expériences de parentalité de manière naturelle et authentique et créent peu à peu les conditions d’une connexion ressentie comme « personnelle » par leur communauté.

Halloween et tout le reste (Babychoufamily).

L’influenceuse @jenesuispasjoli partage ainsi son quotidien intense de jeune maman entre son travail et sa vie de famille. Et le succès est au rendez-vous : elle est suivie par une communauté de plus d’un million d’abonnés sur Instagram et YouTube. Ce qui est le plus prégnant chez ces influenceurs, c’est la manière dont ils racontent leur histoire et celle de leur famille. Ces champions de la narration usent souvent de beaucoup de légèreté et d’humour pour expliquer comment ces produits les ont aidés dans leur vie de parents.

Mais attention : il est essentiel de garder à l’esprit que derrière ces récits à l’apparence naturelle et décomplexée, l’objectif est bien de promouvoir les produits envoyés par les marques. L’influenceur Papa Chouch, un ancien animateur et éducateur spécialisé, a fait de sa capacité à divertir les parents sa marque de fabrique. La particularité de ses posts : raconter sa vie quotidienne de père avec une bonne dose de second degré.

Le nombre de « likes » ne fait pas tout

Devant cet accroissement du nombre d’influenceurs parentaux, le défi pour les marques consiste dès lors à sélectionner le représentant le plus adéquat pour incarner leurs produits. Mais attention aux idées reçues : les marques ont parfois la tentation de choisir les influenceurs en fonction du nombre de « likes » et de la taille de sa communauté. Or, il s’agit là d’une erreur. L’essentiel est avant tout de mesurer la bonne adéquation entre les valeurs de l’influenceur et celles de la marque, comme nous l’avons montré dans une recherche récente (L’influenceur, un moyen de communication pour la marque sous le prisme de la co-création de contenu, présenté au 20e colloque sur le marketing digital en 2021).

Les influenceurs parentaux ont également un rôle important à jouer en sélectionnant les marques qui correspondent le mieux à leurs valeurs en termes d’éthique, à leurs goûts personnels et à ceux de leur fidèle communauté. Maintenir une cohérence entre leur vision et celle de la marque est essentiel pour garantir l’authenticité de leur contenu. C’est ce que préconise @annelauresmd, une maman influenceuse inspirante qui est également cofondatrice de Alénore, une marque de maroquinerie haut de gamme dont les produits sont fabriqués en France à partir de déchets de pommes.

Les stratégies de collaboration utilisées par les marques s’appuient souvent sur l’envoi aux influenceurs de produits gratuits en échange d’un avis, d’une démonstration, ou d’un témoignage sur les réseaux sociaux. Autre technique : la rémunération pour créer du contenu sponsorisé sur les réseaux sociaux, en respectant les consignes et les messages clés de la marque.

Une image parfois idéalisée

Le défi pour ces influenceurs parentaux et de manière plus générale pour le métier, au-delà de livrer un contenu créatif, spontané et récurrent, est l’usage de nouveaux outils afin de promouvoir leur « personal branding » (« marketing de soi-même ») auprès de leur audience. Ainsi, ils doivent en permanence se mettre à jour sur l’usage du live streaming, qui consiste à diffuser des vidéos spontanées, répondre en direct à leur audience, créer des stories, des réels ou des podcasts, ou encore créer du contenu exclusif sur les nouvelles plates-formes ou réseaux sociaux comme Threads, Substack ou Twitch.

Les influenceurs parentaux doivent être également conscients de l’importance de leur rôle auprès de leur audience et de l’impact significatif de leur image, parfois perçue comme trop idéalisée, sur les nouveaux parents qui peuvent de leur côté éprouver des difficultés à gérer leur vie quotidienne avec un nouveau-né.

Les influenceurs doivent donc rester vigilants et respectueux des règles éthiques et déontologiques qui encadrent leur activité afin de protéger les intérêts de leur communauté ainsi que ceux des marques. Charge à eux, donc, d’annoncer explicitement le caractère publicitaire ou sponsorisé de leur contenu afin de ne pas induire leur public en erreur sous peine d’être soumis à des sanctions.

La youtubeuse parentale @CindyGredziak en a fait l’amère expérience en janvier 2024 : elle a reçu une injonction de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) pour plusieurs manquements, notamment le défaut d’indiquer le fait qu’elle avait reçu gratuitement un aspirateur de la part d’une grande marque renommée.

Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management et Douniazed Filali-Boissy, Professeure Associée - Département Marketing, ICN Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Automobile : l’essor du SUV, un choix avant tout politique

En 2019, plus d’un véhicule neuf sur trois vendu dans l’Union européenne était un SUV. AnyVidStudio / Shutterstock
Samuel Klebaner, Université Sorbonne Paris Nord

L’actualité automobile de la rentrée a été marquée en France par un imbroglio entre la ministre de l’Écologie Barbara Pompili et de l’Économie Bruno Le Maire. Le sujet : imposer aux véhicules lourds un malus. D’un côté, la Convention citoyenne pour le climat et de nombreux mouvements écologistes y voient un moyen pour enrayer la « SUVisation » du parc automobile français. De l’autre, les industriels français, rejoints par trois syndicats de salariés, craignent en cette période funeste une destruction de la production en France.

En effet, le SUV, ce véhicule aux airs de 4x4 arrivé dans les années 1990 en provenance du Japon, s’est propagé sur le marché européen à grande vitesse (graphique ci-dessous). En empiétant d’abord sur les monospaces (MPV) et les véhicules supérieurs (D), les voici qu’il rogne sur les parts de marché des véhicules plus compacts (A, B et C) qui régnaient en maîtres incontestés sur le marché européen.

Figure 1 : Nombre de voitures particulières neuves par segment dans l’Union européenne en millions d’unités et la part de marché en % des segments sur la période 2008-2019.. ACEA

Mais si le débat entre écologie et production est si prégnant en France, c’est que le SUV est le résultat d’une triple histoire : celle des réglementations européennes, de la demande et des logiques industrielles de la filière automobile française. Il ne suffit pas en effet d’écarter le « chantage à l’emploi », il faut aussi le comprendre pour lui donner des solutions politiques.

Une construction réglementaire

Le SUV a pu bénéficier en Europe d’un terrain réglementaire favorable à son développement. Bien qu’embryonnaire sur le marché européen dans les années 2000, le SUV va sortir gagnant à la Pyrrhus des réglementations affectant la sécurité, les polluants et le CO2.

Concernant la sécurité, les textes vont largement contribuer à l’accroissement du poids des véhicules dès les années 2000. Notamment, certaines réglementations comme celle affectant les chocs piétons, vont transformer le produit véhicule, en rehaussant les pare-chocs avant. Le SUV, haut sur patte, répond alors favorablement à ces nouvelles exigences, si bien qu’il devient quasiment impossible à première vue de distinguer certains « SUV » des véhicules « normaux ».

La réglementation concernant les polluants (NOx, particules…) va aussi contribuer à l’essor du SUV. D’une part, les véhicules pesant plus de 2 500 kg bénéficiaient d’une exception jusqu’aux normes Euro 4 (mises en œuvre en 2005), devant émettre des limites de polluants plus souples, au même niveau que les camionnettes, ce qui fera l’objet d’une première bataille politique entre constructeurs et environnementalistes qui en sortiront victorieux.

D’autre part, ces normes de pollutions vont redevenir favorables aux SUV (diesel) avec les nouveaux cycles de tests en conditions réelles dès 2017. Pour répondre efficacement à ces nouvelles exigences, la seule technologie actuellement disponible est le Selective catalytic reduction, qui doit être couplé à un réservoir d’urée (ammoniac liquide). Or, seuls les véhicules les plus spacieux sont capables d’accueillir ce nouveau composant.

Enfin, les objectifs CO? contribuent de manière contre-intuitive à la course au poids. En 2019, après un lobbying intense, la solution « allemande » s’impose : les objectifs CO2 de chaque constructeur (objectifs individuels) sont calculés selon le poids moyen des véhicules vendus. Plus le constructeur vend des véhicules lourds, moins son objectif CO2 est contraignant, afin de rendre plus équitable les efforts de dépollution entre les constructeurs.

L’effet est immédiat : les gains de CO2 liés à l’allègement des véhicules sont absorbés par un objectif CO2 plus strict. Les constructeurs sont donc face à un équilibre de Nash peu souhaitable : la seule stratégie possible est l’alourdissement, et si possible, plus que ses concurrents.

Les années 2000 vont donc voir un essor incroyable des innovations concernant le bloc moteur. L’objectif est d’améliorer à tout prix le rendement de la motorisation. Des progrès considérables ont été réalisés : downsizing, électronique et électrification améliorent notamment la performance. On peut ainsi placer un moteur moins énergivore dans un véhicule plus lourd.

Vu ainsi, le malus au poids permettrait, s’il est bien calculé, d’enrayer cette course à l’alourdissement et ainsi pénaliser les grosses et puissantes berlines allemandes.

Une construction économique

Depuis la crise de 2008, le marché automobile européen semble condamné à être un marché de renouvellement. Face à la modération salariale, à l’Ouest, et une classe moyenne qui n’émerge pas, à l’Est, les constructeurs doivent viser les quelques ménages solvables.

Ces derniers sont généralement plus âgés, plus riches, et plus urbains. En Allemagne, les jeunes cadres voient dans la voiture de fonction un élément important du salaire. De l’autre côté du marché, les ménages périurbains et ruraux se tournent vers le marché de l’occasion, préférant investir dans un gros véhicule plus fiable qui pourra donc être amorti plus longtemps, dans un contexte de réduction des transports collectifs dans ces zones.

Une course s’engage vers la premiumisation. L’objectif est d’attirer cette demande exigeante en offrant des véhicules à plus forte valeur ajoutée pour le client, et donc pour le constructeur. Sur le marché des petits véhicules, la forte élasticité-prix de la demande contraint les constructeurs à réduire les coûts.

Dans ce contexte, le SUV va rapidement trouver une demande. Le design va tirer sur le haut de gamme. La conduite haute va être un argument de vente imparable pour les consommateurs plus âgés mais aussi pour les mères de famille, renforçant le contrôle et la sécurité au volant.

Enfin, le volume de coffre va attirer les ménages souhaitant un véhicule routier, remplaçant donc très rapidement les véhicules familiaux. La polyvalence de ce véhicule, renforcée par l’arrivée de gammes « SUV urbains » lui permet ainsi d’inonder le marché.

Les SUV bénéficient de volumes de coffre importants, attirant les ménages au détriment des véhicules familiaux. Shutterstock

Mais si le SUV est un objet de tension, c’est bien du fait de l’inégale répartition de la demande. Il semble en effet contraire aux enjeux environnementaux et d’urbanisme de voir circuler ces véhicules lourds en ville, alors que les périurbains et ruraux sont poussés par la raréfaction des transports collectifs et la modération salariale d’acquérir un tel véhicule routier fiable.

La politique fiscale peut justement jouer ce rôle de corrections des dysfonctionnements du marché. Le malus au poids prendrait alors tout son sens : guider les consommateurs et les constructeurs vers la production de nouveaux produits, qui répondraient à des enjeux de politique publique, tout comme le bonus-malus sur le CO2 a pu accompagner les efforts d’innovation des constructeurs.

Le délaissement du site France

Les industriels français expriment leurs angoisses face à ce malus au poids qui affecterait 70 % de la production française. Il faut voir dans cet argument le constat ironique de trois décennies de logiques industrielles doctrinales.

On assiste depuis les années 1990 à une mise en concurrence systématique des sites de production en France. Renault a été précoce, en délocalisant – rapidement en semi-périphérie, notamment en Roumanie. Les accords d’élargissement et de libre-échange offrent alors pour les constructeurs français une opportunité pour résoudre le « problème social ».

Depuis la fermeture du site d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en 2013, une petite doctrine trotte dans la tête du patronat et du gouvernement : la France ne peut plus produire de petits véhicules, et se concentrera sur les véhicules « à forte valeur ajoutée ».

Le procédé de délocalisation est toujours le même : le constructeur commence la production d’un modèle « français » à l’étranger, tout d’abord au motif de répondre à un accroissement de volume. Puis, il transfère de plus en plus les volumes de production vers cette nouvelle usine, jusqu’à annoncer la fermeture de la ligne en France. Pour compenser, elle promet la production d’un véhicule « à forte valeur ajoutée ».

Les syndicats, inquiets pour l’emploi, voient pour la plupart d’un bon œil l’arrivée de ces nouveaux modèles dont les SUV. Or, un véhicule à forte valeur ajoutée, ce sont aussi des volumes de production en moins, d’autant plus quand ces modèles à forte valeur ajoutée se vendent très mal : Scénic, Espace et Talisman produits à Douai (Nord) sont ravagés par les Captur et Kadjar espagnols.

Lors de l’annonce du plan de sauvegarde l’automobile, en mai 2020, le président Emmanuel Macron a réaffirmé vouloir localiser en France la production de modèles à forte valeur ajoutée, notamment électriques. Cette prise de position est surtout un moyen d’accompagner davantage le mouvement de délocalisation, plutôt que d’annoncer un renouveau stratégique. Ni la nouvelle génération de Captur, ni la Peugeot 2008 « SUV urbain » ne remplaceront la Clio et la 208, qui sont pourtant les deux modèles les plus vendus en France !

Sur le front de l’électrique, même constat. L’équation en termes de volume ne sera certainement pas résolue si les chaînes de production du site de Flins (Yvelines) produisent des Nissan Micra plutôt que des Clio. La Twingo électrique est assemblée en Slovénie, la 208 électrique en Slovaquie. La K-Zéro sera produite en Roumanie, alors que selon la CGT-Renault, ce véhicule pourrait tout à fait être produit (et rentable) en France.

Le site de Flins, situé dans les Yvelines, a été crée en 1952 et accueille l’une des plus anciennes usines Renault. Département des Yvelines, CC BY-ND

Pourtant, dans l’automobile, l’organisation de la production ne répond pas à un simple calcul coût-bénéfice. L’exemple le plus problématique pour la doctrine française est Toyota France qui produit des Yaris, vendues à un prix tout à fait compétitif.

Si la France est si dépendante des véhicules à forte valeur ajoutée, ce n’est donc absolument pas une contrainte inéluctable guidée par de quelconques calculs économiquement rationnels, mais bien un choix politique qui s’auto-entretient.

Voilà ce que cache la cristallisation du débat autour du malus au poids : des décennies stratégies industrielles, réglementaires et politiques, que la politique industrielle pourrait corriger. On peut rejoindre le patronat et les trois syndicats de salariés sur le fait que pour l’industrie automobile, ce n’est pas le moment au vu de la fragilité de la reprise économique, mais il faudra bien commencer un jour.

Samuel Klebaner, Maître de conférences en économie, Université Sorbonne Paris Nord

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.