Cette annonce doit être prise avec précaution, et il ne faut pas lui faire dire plus que ce qu’elle indique réellement. Ainsi, la méthodologie employée et les hypothèses sous-jacentes concernant la transmission du pathogène posent problème.
Il s’agit, déjà, comme toute revue Cochrane, d’une méta-analyse : c’est-à-dire qu’elle met en commun les résultats de plusieurs études mais ne réalise pas elle-même de recherche clinique. En l’occurrence, elle a combiné des essais contrôlés randomisés (ECR) – les ECR testant une molécule, un protocole… dans un groupe, qu’il compare à un groupe « témoin » qui ne la reçoit pas ou reçoit une autre.
Cette approche part du principe que, d’une part, les ECR offrent les « meilleurs » résultats et que, d’autre part, la combinaison de plusieurs ECR donnera une « taille d’effet » moyenne.
Mais les ECR ne sont un « étalon-or » incontesté que pour certains types de questions. Parfois, combiner des modèles d’étude est préférable. De plus, les ECR ne devraient être associés que s’ils abordent une même question et de la même manière. Voici donc quelques raisons pour lesquelles les conclusions de cette étude Cochrane sont trompeuses.
Mode de propagation du Covid et rôle des masques n’ont pas été pris en compte
Les masques respiratoires (tels que les N95) sont conçus pour prévenir les infections aériennes en s’adaptant étroitement au visage pour empêcher les fuites d’air, et en filtrant 95 % ou plus des particules infectieuses potentielles.
En d’autres termes, les respirateurs sont conçus pour la protection respiratoire et les masques chirurgicaux en tissu et papier ne le sont pas.
Or la revue part de l’hypothèse que les masques chirurgicaux assurent une protection respiratoire : ce qui est donc erroné. Comprendre ces différences de fonctionnement (et de fonctions) devrait être une base à ces études et revues générales.
Les études considérées portaient sur des questions très différentes
Une erreur fréquente dans les méta-analyses est de combiner des pommes et des oranges. Si les pommes fonctionnent sur un sujet mais pas les oranges, le fait de combiner toutes les études pour en tirer un seul chiffre moyen peut conduire à la conclusion que les pommes ne fonctionnent pas…
Par exemple, cette étude Cochrane a combiné des ECR dans lesquels masques ou respirateurs étaient portés de façon discontinue, occasionnelle (par exemple, lors de la prise en charge de patients atteints de Covid ou de grippe connus) et d’autres où ils étaient portés tout le temps, de façon continue.
Les virus du SARS-CoV-2 et de la grippe étant tous deux transmis par voie aérienne, une telle comparaison n’est pas pertinente : une personne non masquée pourrait être infectée n’importe où dans un bâtiment et même après qu’un patient infectieux a quitté la pièce, d’autant plus que certaines personnes ne présentent aucun symptôme alors qu’elles sont contagieuses. Et ce, même si elle a porté le masque à un moment identifié comme risqué.
L’efficacité des masques dépend de leur utilisation occasionnelle ou continue.Unsplash/Viki Mohamad
De plus, la plupart des ECR sur les masques et les N95 inclus dans l’examen n’avaient pas de groupes de contrôle. Par conséquent, l’absence de différence pourrait tout autant indiquer une efficacité qu’une inefficacité égale.
Enfin, dans une méta-analyse de deux ECR réalisés de la même manière et mesurant les mêmes interventions et résultats, nous avons voulu combiner uniquement des pommes… et des pommes. Nous avons constaté que les masques N95 fournissaient une protection significative contre les infections respiratoires, et les masques chirurgicaux non, même contre les infections supposées être « propagées par des gouttelettes ».
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Souvent la question n’est traitée qu’à moitié
Masques faciaux et respirateurs ont deux rôles : ils protègent le porteur de l’infection et ils empêchent un porteur infecté de transmettre ses germes à d’autres.
Or la plupart des essais cliniques randomisés de cette revue Cochrane n’ont porté que sur le premier scénario et non sur le second. En d’autres termes, les chercheurs ont demandé à des personnes de porter des masques et ont ensuite vérifié si ces personnes étaient infectées.
Pourtant, certains des essais inclus dans la revue n’ont pas utilisé la randomisation en grappes. Ce qui fausse là encore le résultat.
Combiner des paramètres différents n’est pas pertinent
Il s’agit là d’un autre problème de type « pommes + oranges ». On le sait, les particules en suspension dans l’air s’accumulent lorsque des malades expirent le virus en milieu peu ventilé et bondé – surtout si le nombre de personnes infectées est élevé (comme dans un hôpital) : les risques de transmission variant considérablement d’un milieu à l’autre, comparer des zones à risque fort ou modéré est donc problématique.
Un véritable effet protecteur des masques ou des respirateurs, démontré par un ECR dans un environnement à haut risque, sera sous-estimé si cet essai est mêlé à d’autres ECR menés dans des environnements à faible risque.
Un vaste ECR réalisé au Bangladesh a montré que les masques chirurgicaux réduisaient le risque d’infection de 11 % dans l’ensemble et de 35 % chez les personnes de plus de 60 ans. En revanche, dans les hôpitaux, les masques N95 réduisent le risque de 67 % contre les infections bactériennes et de 54 % contre les infections virales.
Des virus comme la grippe varient aussi considérablement d’une année à l’autre. Certaines années, l’épidémie de grippe est très limitée : si un ECR est mené une telle année, il ne trouvera pas suffisamment d’infections pour montrer une différence. L’étude n’a pas non plus tenu compte de ces effets saisonniers.
Le masque a-t-il réellement été porté lors des études ?
Les auteurs de la revue Cochrane ont reconnu que le respect des préconisations de port du masque était faible dans la plupart des études. Dans le monde réel, nous ne pouvons pas forcer les gens à suivre les conseils médicaux, c’est pourquoi les ECR doivent être analysés sur la base de l’« intention de traiter ».
En temps normal, dans un ERC, les personnes à qui l’on prescrit la molécule active mais qui choisissent de ne pas la prendre ne doivent pas être transférées dans le groupe placebo… Dans une étude sur le port du masque, si la plupart des gens ne le portent pas, vous ne pouvez pas conclure que les masques ne fonctionnent pas si aucune différence ne ressort entre les groupes… Vous pouvez seulement conclure que la préconisation n’a pas fonctionné.
Les gens ne portent pas toujours des masques malgré les préconisations médicales.Pexels/Polina Tankilevitch
Il existe de nombreuses explications psychologiques sur les raisons pour lesquelles on choisit de se conformer, ou non, au conseil de porter un masque et sur la manière d’améliorer le taux d’utilisation. il faut bien séparer l’impact du masque lui-même de l’impact du conseil de porter un masque.
Un examen complet des preuves devrait également inclure d’autres types d’études que les ECR. Par exemple, un grand examen systématique portant sur 172 études différentes et incluant 25 697 patients atteints du SRAS-CoV-2, du SRAS ou du MERS, a conclu que les masques étaient efficaces pour prévenir la transmission des virus respiratoires.
Des études en situation réelle bien conçues, menées pendant la pandémie, ont montré que tout masque réduit le risque de transmission du Covid de 50 à 80 %. La protection la plus élevée étant offerte par les masques respiratoires N95.
De nombreuses études en laboratoire ont montré que les masques respiratoires sont supérieurs aux chirurgicaux pour prévenir les infections respiratoires propagées par les airs et que la supériorité progressive d’un masque en tissu à une ou deux couches à un masque chirurgical à trois couches pour bloquer les aérosols respiratoires.
Oui, le masque limite la propagation du Covid
Il existe des preuves solides et complémentaires de l’efficacité des masques et (encore plus) des respirateurs quant à la protection contre les infections respiratoires. Les masques constituent une protection importante contre les infections graves.
À l’inverse, les vaccins contre le Covid protègent contre le décès et les formes graves, mais ne préviennent pas l’infection de manière satisfaisante en raison de l’affaiblissement de l’immunité vaccinale et de l’évasion immunitaire des nouveaux variants.
La qualité d’une revue systématique dépend de la rigueur avec laquelle elle combine des études similaires portant sur des interventions similaires, avec des mesures similaires des résultats. Lorsque cela n’a pas respecté, comme ici, on ne peut guère tirer de conclusions de ses résultats…
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