Une intelligence artificielle peut-elle réellement prédire un crime ?

Sociétés

Partout dans le monde, les services de police utilisent des algorithmes de prédiction de la criminalité de plus en plus perfectionnés. Et non moins inquiétants.

Un œil surveille les 13 millions d’habitants de Canton, dans le sud de la Chine. Au nord de la rivière Zhuijang, dans le parc industriel de Thianhe, l’entreprise CloudWalk expérimente une technologie de reconnaissance faciale pour prévenir tout faux pas. Elle est, d’après ses concepteurs, en mesure d’évaluer le taux de dangerosité d’un individu en fonction de son comportement. « La police utilise un système de big data afin de dégager un groupe de personnes suspectes en fonction des endroits où elles vont », explique un porte-parole du groupe. Le risque augmente si quelqu’un « visite fréquemment des aéroports ou des magasins de couteaux. Bien sûr il n’y a rien de mal à acheter un couteau, mais si vous achetez aussi un sac et un marteau, vous devenez suspect. » Ce portrait peut être complété par les informations de la police.

Dans un pays qui compte 176 millions de caméras de vidéo-surveillance, la généralisation de ce système de surveillance orwellien donnerait à la prévention des crimes un visage aussi tentaculaire qu’inquiétant. La reconnaissance faciale permet déjà de détecter les contrevenants au code de la route et d’offrir ausitôt leurs photos à la vindicte populaire sur des pancartes ou sur Internet. Et ce n’est qu’un début. La Chine prévoit d’investir 150 millions de dollars dans son industrie de l’intelligence artificielle d’ici 2030. Ailleurs dans le monde, des technologies de plus en plus élaborée – mais aussi plus intrusives – sont mise entre les mains de la police ou des agences de renseignement. Le roman de Philip K. Dick, Minority Report, adapté au cinéma en 2002, s’éloigne de la science-fiction.

I.ANACRIM

Vendredi 28 juillet, dans le bureau de la présidente de la chambre de l’instruction de Dijon, trois personnes interrogent le passé. À l’aube de la retraite, Claire Barbier est encore là, à épousseter un vieux dossier avec deux témoins. Trente ans après l’assassinat du petit Grégory Villemin, ses yeux bleu clair tentent de percer ce qui, parmi les mots de Murielle Bolle et Patrick F., décrit fidèlement les faits. Pour la première fois, leurs vérités se confrontent. De nouveau, chacun replonge dans le sac de souvenirs qu’il traîne depuis trois décennies. Le même maelstrom de dates, de personnages et de lieux est au cœur des conversations.

Murielle Bolle a-t-elle vu l’enfant, le jour de sa mort, dans la voiture d’un suspect, Bernard Laroche (tué en 1985), comme elle l’a d’abord raconté avant de changer de version ? Cet échange inédit avec son cousin et contradicteur, Patrick F., ne permet toujours pas de le dire. Mais chaque nouvelle information pèse plus lourd qu’avant. Désormais, la justice se sert d’un logiciel appelé ANACRIM afin de brasser et de faire le tri dans les milliers de données. C’est lui qui a poussé les enquêteurs à réexaminer ce dossier antédiluvien.

Conçu aux États-Unis dans les années 1970, ANACRIM s’appuie aujourd’hui sur le logiciel ANB (Analyst Notebook) d’IBM afin de « transformer les données en renseignements ». Pour le dire autrement, elle présente un panorama clarifié des événements à même d’en dégager les cohérences ou les contradictions. Capable d’intégrer à son analyse les appels téléphoniques ou les informations bancaires, ANACRIM a aidé à confondre Michel Fourniret et Emile Louis. Toute les affaires sensibles sont aujourd’hui passées au tamis du logiciel.

Grâce au deep learning (« l’apprentissage profond »), les gendarmes français espèrent lui faire « comprendre » la nature des informations traitées. La police des West Midlands, dans le centre de l’Angleterre, a déjà fixé cet objectif à VALCRI, un système émettant des hypothèses de travail à partir de rapports manuscrits, d’entretiens, de vidéos de surveillance ou de relevés automatiques de plaques minéralogiques. Ainsi, une machine peut-elle cerner un coupable. Mais il y a plus fou encore. Une nouvelle génération de logiciels se targue d’arriver à prédire les crimes, offrant aux forces de maintien de l’ordre les clés pour les déjouer ex ante.

II.PredPol

Le plus connu de ces programmes, PredPol, fonctionne depuis 2014 à Modesto, un quadrillage de barres grises perdu entre la baie de San Francisco et le Parc national Yosemite. Ville-dortoir sur la route qui relie Sacramento à Los Angeles, elle aurait dû prendre le nom de son fondateur, Ralston, s’il n’avait décliné l’honneur, en 1870. Après avoir été reniée, elle hérita donc de son caractère. Mise en lumière par l’enfant du coin, George Lucas, dans American Graffiti (1973), Modesto la modeste n’en traîne pas moins une sale réputation. Le taux de criminalité y est deux fois plus élevé que celui de la moyenne californienne. John Ridley a d’ailleurs tourné la série American Crime dans ses rues dépouillées.

Pour gérer cette violence, la police locale s’est abonnée aux services de PredPol, une société de prédiction basée non loin de là, dans la cité universitaire de Santa Cruz. Son modèle « emprunte l’idée que les crimes se répètent dans l’espace et le temps et qu’on peut modéliser ce processus de répétition », décrit Bilel Benbouzid, maître de conférences en sociologie au Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS). À partir des éléments recueillis par les agents, la start-up conçoit un répertoire de crimes et délits qu’elle cartographie ensuite. Partant du postulat qu’ils sont susceptibles de se reproduire aux mêmes endroits, les agents organisent en conséquence ses patrouilles près des (les « points chauds »). À Milan, c’est KeyCrime qui est censé déterminer l’endroits où les larcins ont le plus de chances de survenir en fonction d’un historique. Un système similaire, PredVol, donne aux forces de l’ordre de l’Oise des indications sur les prochains vols de voiture.

Ces technologies qui fonctionnent à l’aide d’algorithmes s’inscrivent dans le champ de la « prévention situationnelle », indique Bilel Benbouzid. Aujourd’hui, elles fonctionnent soit au moyen de données spatiales et temporelles, comme PredPol, KeyCrime et PredVol, soit en tirant profit des données personnelles. Aux États-Unis, une kyrielle de sociétés vendent aux juridictions locales des logiciels armés pour évaluer la probabilité de récidive d’un prévenu au regard de son profil. C’est le cas de Compas, développé par la société Northpoint. D’autres solutions, à l’instar du programme Predictice, sont offerts aux justiciables qui veulent pondérer le risque avant d’aller en justice.

« Le marché fonctionne à trois niveau », analyse Bilel Benbouzid. « Il est composé de start-ups qui innovent, de spécialistes de l’analytics et de fournisseurs d’infrastructures informatiques comme IBM et Microsoft. » Il évolue néanmoins puisque ces derniers ont beaucoup absorbé les premiers. Motorola a acheté PublicEngines en 2015, Trimble a repris Omega Group en juillet 2014 et LexisNexis a pris le contrôle de BAIR Analytics. Ces plates-formes auxquelles on peut aussi ajouter Hitachi Visualization Predictive Crime Analytics, CivicScape, ArcMap, Hunchlab ou Mark43, font commerce d’une idée ancienne : les situations portent en elles les crimes....

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