Cette nuit du 14 juillet 2016, Eléonore a vaguement entendu le bourdonnement d’un ou deux hélicoptères. Mais elle s’est rendormie, pensant qu’il s’agissait d’un rêve. Infirmière à la retraite, elle vit sur les hauteurs de Nice, à 150 mètres du CHU Pasteur, l’hôpital qui, ce soir-là, a accueilli le plus gros contingent de victimes de l’attentat de la Promenade des Anglais. Les SMS de ses petits-enfants lui ont appris le drame au réveil et sa pensée a dérivé vers les innombrables blouses blanches s’affairant à quelques pas de là.
Un an plus tard, ce CHU ultramoderne a encore bien des plaies à panser, y compris celles de ses propres soignants. "L’élaboration des plannings du 14 juillet 2017 par exemple, ça a été quelque chose…", nous souffle Karine Hamela, qui y dirige le pôle des ressources humaines. Infirmiers, médecins ou urgentistes, certains tiennent à tout prix à travailler en cette date anniversaire du carnage qui a fauché 86 vies. D’autres n’en sont tout simplement pas capables.
Il y a les gens qui disent "Je vais bien" pour couper court aux questions, ceux surtout, qui ne s'autorisent pas à aller mal. Brancards affluant par centaines, bips sonnant à tout va : visions et émotions resurgissent par bribes à l’approche des commémorations.
"Cette date est un facteur de réactivation du stress ressenti, inévitablement on repense à tout ça", décrypte le Pr Michel Benoît, qui dirige le service psychiatrique du CHU de Nice et supervise le suivi psychologique post-attentat des équipes. "Elles minorent leur mal-être", observe-t-il. Et ce, qu’elles aient fait partie des 400 personnes engagées le soir même ou des 1.800 mobilisées les jours suivants. Une déformation propre à la profession, que décrivait déjà très justement l’urgentiste Patrick Pelloux, après l’attentat de Charlie Hebdo. Dans "l'Instinct de Vie" (Editions du Cherche-Midi), il écrit :
"Il est facile de croire que les soignants, connaissent la médecine, sont protégés. La blouse blanche serait une sorte de gilet pare-balles aux souffrances des autres. Nous serions des super-héros. Mais cela est totalement faux."
Une vingtaine d’arrêts de travail seulement
Peut-être plus qu’ailleurs, le personnel hospitalier peine à admettre qu’il va mal. "Près de 8.000 personnes travaillent au CHU, toutes professions confondues. Mais on n’a eu qu’une petite vingtaine d’arrêts de travail alors qu’on a énormément de personnes marquées à vie", détaille Karine Hamela. "Ce sont des personnes qui étaient soit en charge des patients ce soir-là, soit présentes ou blessées sur place – deux seulement–, soit des gens qui étaient tout simplement très choqués. Mais ces chiffres ne sont pas représentatifs de la réalité…" A Paris, 20% des personnes (médecins, mais aussi pompiers et policiers) ayant du intervenir au cours des attentats de janvier 2015 ont développé des troubles somatiques, révèle l’étude IMPACTS.
Taboue, cette réalité peine à être assumée par ceux qu’elle affecte. A Nice, tous ne sont pas encore retournés sur cette Prom sur laquelle a surgi un jour un camion fou. Et ceux qui y vont, ne s’y prélassent insouciamment plus sur ses iconiques chaises bleues. Symptômes de ces maux silencieux, le casse-tête de la constitution des plannings, ou même des listes pour aller représenter le CHU aux différentes cérémonies des commémorations.
Lire la suite : Un an après l'attentat, le blues des blouses blanches de Nice - L'Obs
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