Transmission de l’antibiorésistance à l’être humain : quelles bactéries surveiller chez l’animal ?

Santé

L’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire doit être surveillé, car il soulève la question de l’émergence de bactéries résistantes et de leur passage à l’être humain. Jo-Anne McArthur / Unsplash

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Transmission de l’antibiorésistance à l’être humain : quelles bactéries surveiller chez l’animal ?

L’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire doit être surveillé, car il soulève la question de l’émergence de bactéries résistantes et de leur passage à l’être humain. Jo-Anne McArthur / Unsplash
Elissa Khamisse, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

La résistance des bactéries aux antibiotiques ou « antibiorésistance », est devenue un sujet de préoccupation majeure. Selon un rapport britannique repris par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on estime que d’ici à 2050, le nombre de décès liés à la résistance aux antibiotiques pourrait atteindre 10 millions par an dans le monde.

Fin juin, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié un avis concernant la liste prioritaire des couples bactérie/famille d’antibiotiques à surveiller chez les animaux en raison de leur impact sur la santé publique. Voici ce qu’il faut en retenir.

Comment émergent les résistances ?

Toute utilisation d’antibiotique, que ce soit chez les êtres humains ou chez les animaux, exerce une pression de sélection : initialement très efficaces, les antibiotiques éliminent massivement les bactéries sensibles.

Il arrive cependant que quelques bactéries s’avèrent capables de leur résister. Celles-ci survivent et, favorisées par la disparition des bactéries sensibles, se multiplient sans concurrence. C’est ainsi qu’émergent des populations résistantes contre lesquelles les antibiotiques deviennent inefficaces.

De telles bactéries résistantes aux antibiotiques peuvent non seulement se développer chez les personnes soignées par des antibiotiques, mais aussi dans l’environnement (lorsque celui-ci est contaminé par des rejets contenant des antibiotiques) ou chez les animaux d’élevage et de compagnie, lorsque les antibiotiques sont utilisés en médecine vétérinaire.

Dans ce dernier cas, des bactéries résistantes peuvent être transmises aux êtres humains soit par le biais de contacts rapprochés avec lesdits animaux, soit de manière indirecte, par l’intermédiaire de l’environnement ou via la consommation de produits alimentaires contaminés.

Des couples bactérie/famille d’antibiotiques à surveiller en priorité chez l’animal

Onze couples bactérie/famille d’antibiotiques à surveiller en priorité chez les animaux en France figurent sur la première liste élaborée par l’Anses. Parmi eux, cinq sont classés hautement prioritaires :

  • Enterobacterales/carbapénèmes : les Enterobacterales sont un ordre bactérien qui comprend plusieurs espèces par exemple Escherichia coli ou les bactéries du genre Salmonella, couramment trouvées dans l’intestin des êtres humains et d’autres animaux. Diverses espèces d’Enterobacterales peuvent causer des infections, notamment urinaires, intestinales, ou respiratoires. Or, certaines de ces bactéries ont développé une résistance aux antibiotiques. C’est le cas par exemple de souches résistantes aux carbapénèmes qui sont des antibiotiques à large spectre, utilisés uniquement en milieu hospitalier pour traiter les infections les plus graves. L’émergence des Enterobacterales résistantes aux carbapénèmes est un problème majeur de santé publique. La résistance de ces bactéries à plusieurs classes d’antibiotiques peut conduire à des impasses thérapeutiques.

  • Enterobacterales/céphalosporines de troisième et quatrième générations (C3G/C4G) : certaines souches d’Enterobacterales ont développé une résistance aux C3G/C4G, des antibiotiques d’importance critique utilisés pour traiter des infections sévères à la fois chez l’être humain et l’animal. En médecine vétérinaire, la réalisation d’un antibiogramme préalable à leur prescription est requise.

  • Staphylococcus aureus/méticilline (SARM) : S. aureus (ou staphylocoque doré) est une bactérie qui peut se trouver sur la peau et dans les voies nasales des êtres humains, sans provoquer de problème de santé. Cependant, dans certaines conditions (blessure, intervention chirurgicale, affaiblissement immunitaire…), elle peut causer diverses infections, telles que des infections cutanées, des infections des voies respiratoires, ou même des infections sanguines. Le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline, aussi appelé SARM, est un staphylocoque ayant développé une résistance à plusieurs antibiotiques, dont la méticilline. Puisque cette dernière est inefficace pour traiter une infection causée par le SARM, cela limite le choix des traitements.

  • Enterobacterales/fluoroquinolones : tout comme les C3G/C4G, les fluoroquinolones sont des antibiotiques d’importance critique chez l’être humain et l’animal.

  • Enterobacterales/polymyxines : la colistine est l’antibiotique le plus connu parmi ceux appartenant aux polymyxines. Elle est utilisée en médecine vétérinaire, notamment dans les filières animales de production. En médecine humaine, en raison de sa toxicité, la colistine n’est prescrite que pour le traitement d’infections humaines sévères liées à des bactéries résistantes à toutes les autres options thérapeutiques. La résistance de certaines souches à la colistine est problématique du fait de la forte capacité de dissémination d’un gène de résistance, mcr-1, identifié chez les animaux et les êtres humains dans le monde entier.

Des cochons dans un élevage.
La circulation des staphylocoques dorés résistants à la méticilline doit être surveillée, notamment dans les élevages de porcs. Diego San/Unsplash

Évolution des résistances

Une analyse des données épidémiologiques collectées en France permet actuellement de nuancer la transmission de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques entre les animaux et les êtres humains.

Les données d’épidémiosurveillance montrent que si la résistance aux carbapénèmes est occasionnellement détectée chez les chiens et les chats, elle est vraisemblablement liée à un contact avec les êtres humains porteurs de cette bactérie résistante, car cette famille d’antibiotique n’est pas utilisée en médecine vétérinaire.

Les résistances aux autres familles d’antibiotiques chez les animaux de production (bovins, porcs, volailles) et de compagnie (chiens et chats) sont en baisse au cours des dix dernières années, grâce aux efforts de maîtrise de l’utilisation d’antibiotiques dans le secteur animal.

Une vigilance devra toutefois être apportée concernant les souches de Staphylococcus aureus résistantes à la méticilline, un important antibiotique de la famille des pénicillines. En 2006, des cas d’infections dans plusieurs hôpitaux aux Pays-Bas ont mis en évidence que ces bactéries résistantes provenaient en fait d’élevages de porcs.

En France, une enquête menée dans plusieurs élevages porcins a montré que les niveaux de cette résistance ont significativement augmenté entre 2008 et 2021, passant de 3 % à plus de 40 %. Par ailleurs, les données de surveillance révèlent, pour l’année 2021, des proportions élevées chez le chien, avec une tendance à l’augmentation depuis 2018.

Dans son avis, l’Anses recommande d’améliorer cette épidémiosurveillance en utilisant des méthodes de séquençage permettant des analyses du génome entier des cinq couples bactérie/famille d’antibiotiques hautement prioritaires, afin de pouvoir évaluer la contribution du réservoir animal dans la transmission aux êtres humains de telles bactéries résistantes, et d’évaluer la présence d’éléments génétiquement mobiles pouvant favoriser la transmission des gènes codants pour cette résistance aux antibiotiques.

Concernant les staphylocoques dorés résistants à la méticilline, l’Anses souligne la nécessité d’apporter une vigilance au SARM dans le secteur animal à travers la mise en place d’enquêtes ponctuelles, afin de détecter les animaux pouvant jouer un rôle de porteurs transitoires et qui risquent d’être impliqués dans la dissémination et la persistance du SARM dans la population humaine.

Attention aux aliments importés

En France, la transmission des résistances bactériennes entre les animaux et les êtres humains est contrôlée grâce à des mesures de biosécurité dans les élevages, aux bonnes pratiques d’hygiène dans les cliniques vétérinaires et via la cuisson des aliments (la chaleur tue les bactéries résistantes aux antibiotiques).

Cependant, le commerce international, les déplacements de personnes, d’animaux et de produits alimentaires intensifient le risque de dissémination rapide des bactéries résistantes aux antibiotiques. C’est le cas par exemple de crevettes d’élevage importées d’Asie, qui peuvent être contaminées par des bactéries résistantes aux antibiotiques. Pour y faire face, la décision (UE) 2020/1729 impose la surveillance de l’antibiorésistance, mais uniquement dans les viandes importées depuis des pays hors de l’Union européenne.

L’Anses recommande donc d’élargir cette surveillance aux produits issus de la pêche, afin d’éviter l’introduction en France de nouvelles bactéries résistantes, voire de bactéries multirésistantes (autrement dit, résistantes à plusieurs familles d’antibiotiques), qui représentent une menace majeure pour la santé publique.

L’antibiorésistance, c’est l’affaire de tous !

En médecine humaine, tout le monde se souvient du slogan « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique », employé dans les campagnes de sensibilisation visant à réduire le recours systématique aux antibiotiques.

Son pendant en médecine vétérinaire, « les antibios, comme il faut, quand il faut », a permis d’attirer l’attention des professions du secteur animal sur le bon usage des antibiotiques vétérinaires.

La problématique de l’antibiorésistance est particulièrement emblématique du concept One Health (« Une seule santé »), selon lequel santé humaine, animale et environnementale sont interconnectées et interdépendantes.

Pour lutter contre ce problème majeur, il est en effet nécessaire de renforcer les mesures de pre?vention et de contro?le de la transmission de l’antibiore?sistance entre les êtres humains, les animaux et l’environnement. C’est à ce prix que nous pouvons espérer réussir à préserver l’efficacité des antibiotiques, et donc notre capacité à lutter contre les infections bactériennes à l’avenir.


Cet article a été écrit avec l’appui d’Eric Oswald, président du groupe de travail Anses « antiborésistance chez les animaux »

Elissa Khamisse, Coordinatrice scientifique d’expertise en santé et alimentation des animaux, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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