Peut-on détecter le mensonge grâce à l’imagerie médicale ?

Santé

Images du cerveau d'une personne atteinte de sclérose en plaques, obtenues par IRM. Ilena George et Daniel Reich, Institut national des troubles neurologiques et des accidents vasculaires cérébraux, Instituts nationaux de la santé.

The Conversation

Peut-on détecter le mensonge grâce à l’imagerie médicale ?

Images du cerveau d'une personne atteinte de sclérose en plaques, obtenues par IRM. Ilena George et Daniel Reich, Institut national des troubles neurologiques et des accidents vasculaires cérébraux, Instituts nationaux de la santé.
Fabien Dworczak, Inserm et Philippe Menei, Université d'Angers

Dans le cadre de la Semaine du cerveau, nous vous proposons un extrait de « Cerveau et Droit – Impact des neurosciences sur le droit, aujourd’hui et demain ».

Dans cet ouvrage, Philippe Menei, médecin, neurochirurgien et chercheur, dialogue avec Fabien Dworczak, politiste formé aux neurosciences. Ils explorent, au travers d’exemples concrets, les multiples façons dont les découvertes des dernières décennies dans le domaine des neurosciences sont venues bouleverser les sciences humaines.

L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ou IRMf, qui permet de visualiser les zones du cerveau activées lors d’une tâche donnée, s’est notamment frayée un chemin dans les tribunaux. Pour quels bénéfices et avec quelles limites ?

Éléments de réponses avec deux cas précis, la détection du mensonge et l’évaluation des préjudices corporels.

Neurosciences et droit pénal – la détection de mensonges

Fabien Dworczak : Le droit voit volontiers dans les neurosciences la possibilité d’obtenir des données objectives, car « scientifique ». L’imagerie fonctionnelle pourrait, en effet, aider dans la détection de témoignage mensonger, ou conforter la solidité d’un témoignage oculaire remémoré. Qu’en est-il exactement ?

Philippe Menei : Avant l’avènement de l’IRMf existait déjà le détecteur de mensonges. Le détecteur de mensonges, ou polygraphe est un ensemble d’appareils qui mesurent les réactions psychophysiologiques d’un individu lorsqu’il est interrogé, afin de déterminer s’il dit la vérité ou s’il ment. Son principe repose sur le fait que mentir provoque une réaction émotionnelle et s’accompagne donc de manifestations mesurables : la fréquence cardiaque, la conductance cutanée, la fréquence respiratoire, la température corporelle, la pression sanguine et le diamètre pupillaire. Par exemple, le stress engendré par le mensonge augmenterait la transpiration et donc la conductance cutanée.

Photo d’un homme en costume assis à un bureau faisant passer un test polygraphique à une femme en robe
Le polygraphe dans sa version originale. Ed Westcott/Wikimedia

Depuis son origine, la fiabilité du détecteur de mensonges a été vivement critiquée. Les critiques affirment que certains individus très entraînés pourraient passer outre grâce à une grande maîtrise d’eux-mêmes, alors que des individus très émotifs, impressionnés par la procédure, pourraient être identifiés à tort comme menteurs. En France, le détecteur de mensonges n’a pas valeur de preuve auprès des tribunaux et n’est donc pas utilisé lors des interrogatoires.

L’IRMf est explorée comme moyen de détecter le mensonge depuis 2001, et il faut avouer qu’elle n’a pas encore fait ses preuves, en tout cas pas plus que le polygraphe. Cela n’a pas empêché, en 2008, l’émergence d’entreprises américaines comme Cephos en 2004 et No Lie MRI en 2006 promouvant l’IRMf dans la détection des mensonges, et offrant leurs services aux défendeurs légaux qui cherchent à valider leurs alibis. Une étude comparative entre la polygraphie cinq canaux et l’IRMf, menée sur 28 volontaires a conclu que les experts en IRMf étaient 24 % plus susceptibles de détecter un mensonge que les experts en polygraphie.

Malgré cela, la plupart des scientifiques et des juristes s’entendent pour dire que la technologie n’est pas prête pour des applications en droit, et plusieurs tribunaux ont rejeté les demandes d’utilisation de preuves d’IRMf dans les arguments. Cela est parfaitement compréhensible et justifié. En effet, il n’y a pas de « centre cérébral du mensonge » activé lors d’un témoignage mensonger, mais des réactions neurophysiologiques normales, plus fréquemment observées lorsqu’un individu ment sciemment.

Une étude s’est attachée à analyser les manifestations d’anxiété en IRMf sur des volontaires « innocents ou coupables ». Elle conclut simplement que l’anxiété est une réponse neuronale commune à l’interrogation, indépendamment de l’innocence d’un individu, et qu’il existe des différences détectables dans les réponses neuronales pour les réponses anxieuses vraies positives et faussement positives sous l’interrogatoire. En fait, faute d’identifier des processus cognitifs complexes spécifiques du mensonge, l’IRMf, dans cette indication, fonctionne sur le même principe que la polygraphie.

Ce n’est pas tout à fait le cas avec une nouvelle approche en imagerie cérébrale fonctionnelle, qui se base sur le fait que le mensonge peut être détecté à travers un effort cognitif et de contrôle élevé, avec particulièrement une activation du cortex inhibiteur frontal droit.

Les instigateurs de cette nouvelle approche avancent une précision supérieure à 90 % dans la détection du mensonge. Mais c’est bien sûr en situation expérimentale contrôlée, chez des volontaires, dans un laboratoire, et donc très éloignée de la situation stressante d’un procès. De plus, la tâche utilisée (le protocole de mensonge en quelque sorte) est, dans ce type d’étude, très éloignée d’un mensonge complexe, tel qu’il peut se rencontrer dans un contexte judiciaire.

Cela a bien été montré lors d’une étude comparant six catégories différentes de tâche de mensonge. Plus la tâche était simple, éloignée de la réalité, plus il était facile d’identifier les zones cérébrales activées lors de l’intention de mentir et lors du mensonge. Lors d’un scénario « écologique », c’est-à-dire en neuropsychologie plus proche de la « vie réelle », il est plus difficile d’identifier l’activation de ces zones tout simplement parce que les processus mis en jeu dans un mensonge complexe sont plus diffus au niveau du cerveau.

En conclusion, beaucoup de spécialistes en IRMf doutent que cet examen soit réellement performant dans la détection du mensonge.

[…]

Neurosciences et droit civil – préjudices corporels et dédommagements

Fabien Dworczak : Philippe tu es aussi expert pour l’évaluation des préjudices corporels, en quoi les progrès en neurosciences ont-ils modifié ta pratique ?

Philippe Menei : Affirmer un dommage cérébral est relativement aisé quand les dégâts sont massifs comme après un traumatisme crânien grave. Cela l’est beaucoup moins dans le cas de traumatismes crâniens dits, ou estimés, « bénins ».

Les commotions cérébrales ont longtemps fait partie de ces traumatismes crâniens « bénins ». Elles sont maintenant reconnues comme des dommages graves en particulier dans le domaine sportif professionnel et amateur, où elles sont l’objet de mesures préventives et de détection.

Affirmer et quantifier un dommage cérébral organique est devenu plus facile avec l’IRM dont certaines séquences peuvent montrer de façon évidente des dégâts cérébraux, même de petite taille. C’est en particulier le cas de la séquence IRM appelée « T2 étoile » qui va accentuer le signal évoqué par des résidus ferreux apparus après la dégradation de l’hémoglobine. En pratique, cette séquence permet une visualisation fine et sensible des lésions hémorragiques, même de très petites tailles (appelées « microbleeds » en anglais, microsaignements.

Ce type de lésion peut apparaître chez des sujets ayant des facteurs de risques vasculaires (hypertendus, diabétique, hypercholesteromateux), mais aussi en traumatologie crânienne. Dans ce dernier cas, l’IRM peut affirmer l’existence de lésions alors que le scanner est normal. Une autre séquence IRM, appelée « FLAIR » montre très bien les anomalies de la substance blanche, qui peuvent être des microcisaillements de prolongements nerveux liés à un traumatisme crânien. L’IRM est donc devenue incontournable dans l’évaluation de lésions cérébrales post-traumatiques.

Les lésions décrites sont organiques, or il est maintenant bien démontré que la connectivité cérébrale, l’organisation des différents réseaux cérébraux entre eux, est perturbée dans de nombreuses affections, les troubles du neurodéveloppement comme l’autisme, les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer ou la sclérose en plaques, mais aussi les traumatismes crâniens, même dits « bénins », comme les commotions cérébrales.

Les anomalies de la connectique cérébrale entraînent un dysfonctionnement des fonctions cognitives, se traduisant par un ralentissement, une baisse des performances intellectuelles, des difficultés de concentrations, un retentissement sur les relations sociales. Il est maintenant possible d’analyser cette connectique cérébrale et ses dysfonctionnements grâce à l’IRM fonctionnelle, en particulier de « repos ».

La difficulté réside dans le fait que la nomenclature des cas de préjudices et des barèmes d’expertise dans la réparation du dommage corporel est incomplète, voire silencieuse, concernant les déficits liés à des anomalies du connectome cérébral, en particulier de l’hémisphère droit. Pourtant, les déficits neurologiques liés à ces atteintes, s’ils peuvent facilement passer inaperçus lors d’un examen neurologique standard, peuvent entraîner une importante incapacité fonctionnelle dans un grand nombre d’activités, sociales, affectives ou professionnelles.

Il est maintenant souhaitable que les experts ou auxiliaires de justice amenés à expertiser un patient ayant des lésions cérébrales soient conscients du fonctionnement en réseau du cerveau et du handicap que représente l’atteinte de la connectomique, c’est-à-dire de l’interaction et des connexions entre ces réseaux, bien mis en évidence par l’IRMf.

Fabien Dworczak : L’IRM fonctionnelle peut-elle détecter et quantifier la douleur ?

Philippe Menei : En expertise dans le cadre du dédommagement de préjudices corporels, le symptôme le plus difficile à affirmer et à quantifier est la douleur.

Des syndromes douloureux peuvent survenir après tout type d’agression du corps humain, parfois spécifiquement du système nerveux (ce sont les douleurs dites « neurogènes »), mais, aussi, par une agression psychologique. Les versants psychologique, émotionnel et parfois psychiatrique de la douleur, même si elle existe réellement, sont, maintenant, bien établis. La neuro-imagerie peut-elle effacer cette ligne parfois artificielle que nous avons tracée entre une blessure physique, visible, et une blessure émotionnelle, invisible ? Peut-elle la rendre visible aux yeux du droit ?

L’IRM a montré que les patients souffrant de douleur chronique présentent non seulement des altérations de la structure, mais, aussi, de la connectique cérébrale. Les réseaux cérébraux altérés ne sont pas seulement impliqués dans le traitement de la douleur, mais également dans d’autres tâches sensorielles et, aussi, cognitives.

Fabien Dworczak : Comment l’IRM fonctionnelle peut-elle diagnostiquer un stress post-traumatique ?

Philippe Menei : Le stress post-traumatique est fréquemment rencontré dans le cadre d’expertise pour un dédommagement du préjudice corporel. C’est un ensemble de symptômes qui surviennent après un événement traumatisant. Ils se traduisent par des phénomènes de dissociation, une souffrance morale, qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle. Face à un même événement, le risque de développer de tels troubles dépend de facteurs préexistants propres aux patients. Comme pour la douleur chronique, son affirmation ainsi que sa quantification restent une problématique.

Bien que les mécanismes neuronaux du stress post-traumatique ne soient pas entièrement compris, des recherches considérables ont été consacrées à l’étude des changements anatomiques dans le cerveau qui surviennent avec cette condition. L’IRM dite standard peut montrer des modifications du volume de nombreuses régions du cerveau, et l’IRM fonctionnelle montre des changements dans l’activation lorsque les sujets sont exposés à des stimuli liés à un traumatisme. Cependant, une étude récente en IRM fonctionnelle, recherchant des biomarqueurs neuronaux dissociatifs chez des patients atteints de stress post-traumatique et subissant une confrontation traumatique expérimentale afin de susciter une réactivité cérébrale spécifique aux symptômes, n’a pu identifier aucun biomarqueur fiable.


Pour aller plus loin

Fabien Dworczak, PhD, chercheur neurosciences et politiques publiques, Inserm et Philippe Menei, Professeur de Neurochirurgie, neurochirurgien, chercheur (CHU d'Angers, Inserm U1232-CRCINA) et auteur (Voyage du cerveau gauche au cerveau droit. EDP Sciences 2021- Imaginer le monde de demain dir Xavier Pavie, Maxima 2021), Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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