Marketing : Batman ou le jeu du chat et de la chauve-souris

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Une saga qui brouille habilement les pistes entre fiction et réalité, pour les besoins du marketing. Warner bros/Allociné

Frédéric Aubrun, OMNES Education

Le 2 mars 2022 sort en France la nouvelle adaptation cinématographique de Batman. Depuis ses débuts dans le n°27 du Detective Comics en 1939, le récit du Chevalier Noir (The Dark Knight) a été adapté de nombreuses fois au cinéma.

La couverture du Detective Comics #27 (Mai 1939).

En 1943, il fait d’abord l’objet d’une adaptation en serial (un ciné-roman à suspense) réalisée par Lambert Hillyer, avant d’être réellement transposé au cinéma sous la forme d’un long métrage en 1966, sous la direction de Leslie H. Martinson. Une franchise débute en 1989, dirigée par Tim Burton. S’ensuivront sept films sous la houlette de différents réalisateurs, sans compter la reprise de la franchise par le studio Warner pour cinq ans (2015-2020).

« What’s black and blue and dead all over ? »

Affiche The Batman (2022) avec The Riddler.

En mars 2022 c’est le réalisateur Matt Reeves qui donne une nouvelle vision au Batman en le confrontant pour la deuxième fois au cinéma au Sphinx, alias l’homme-mystère ou encore The Riddler (« celui qui pose les énigmes »), après Batman Forever en 1995. Seulement cette fois-ci, le réalisateur propose de montrer un visage plus sombre du Sphinx, et une facette jusqu’alors peu explorée du Batman dans les adaptations cinématographiques.

Il devra en effet mener une enquête en exploitant ses talents de détective. Mais le superhéros n’est pas le seul à devoir jouer aux devinettes. Le public est également amené à résoudre les énigmes du Riddler, à la manière de Batman, sur un site web dédié, brisant les frontières entre la réalité et la fiction. « What’s black and blue and dead all over ? » nous questionne le Sphinx (la réponse est Batman). Ce jeu promotionnel avait déjà débuté par un motion poster énigmatique présentant Batman de profil, avant de laisser place à un point d’interrogation accompagné de quelques énigmes.

Ce principe de gamification « contribue précisément à mêler le réel et la fiction, le “vrai” et le “faux” pour assurer l’immersion nécessaire au processus » selon Hélène Laurichesse, Professeure à l’ENSAV (École Nationale Supérieure d’Audiovisuel) de Toulouse. Comme nous l’avions démontré dans un article portant sur le traitement médiagénique de Batman, ce n’est pas la première fois que le public est amené à jouer dans les stratégies de promotion autour des adaptations cinématographiques de Batman, ni même à voir le fictionnel se mélanger au réel.

« Why so serious ? »

Pour la promotion du film The Dark Knight (deuxième opus de la trilogie de Christopher Nolan), une vaste campagne transmédiatique avait été mise en place, débutant en mai 2007 pour une sortie en juillet 2008 (aux États-Unis). Un choix lié à l’orientation de la Warner depuis sa fusion avec AOL : promouvoir le produit-clé par les nouveaux moyens de communication.

« Why so serious? » pour The Dark Knight film (42 Entertainment).

L’idée était de promouvoir le film en distillant des informations à travers divers sites Web et de mettre ainsi en place l’univers fictionnel du film. Warner Bros demanda à 42 Entertainment, agence spécialisée dans le marketing, de penser une campagne de promotion en lien avec le film. L’entreprise se lança alors dans la promotion autour d’un plan narratif clair ; pour promouvoir le film, on bâtit une campagne directement liée à l’univers de la fiction.

Mélangeant promotion virale et réalité alternative, 42 Entertainment proposa aux spectateurs de devenir des citoyens de ce Gotham fictionnel à travers une multitude de jeux, de vidéos, de sites Web, d’événements et d’indices sur le film. Intitulée « Why so serious ? » (en référence à une réplique célèbre prononcée par le Joker dans le film, interprété par le regretté Heath Ledger), cette campagne fut reconnue comme l’une des plus innovantes de l’histoire d’Hollywood selon le journal Los Angeles Time.

Cette forme de narration peut être qualifiée de « transmedia storytelling », à savoir « un processus dans lequel les éléments d’une fiction sont dispersés sur diverses plates-formes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée ».

Site web du candidat de fiction Harvey Dent. 2008 Warner Bros. Entertainment Inc.

Fondé sur la campagne fictionnelle de l’avocat Harvey Dent (Double-Face) pour devenir procureur de la ville de Gotham, le marketing viral se déploie. L’année de promotion du film devient l’année de campagne de Harvey Dent, ce qui permet de mettre en place l’intrigue autour du film. Le slogan « I believe in Harvey Dent » devient le site de campagne du candidat. Il était même possible en s’inscrivant sur le site de recevoir une pochette de campagne du candidat.

« Think outside Pandora’s Box »

De la même manière, la promotion autour du film Batman v Superman : Dawn of Justice (2016) renvoie-t-elle aux normes esthétiques et narratives de ce double univers fictionnel, notamment à travers un processus de « publicitarisation » dans le magazine américain Fortune avec un article consacré à Lex Luthor, l’un des principaux protagonistes du film.

Théorisée en 2014 par la chercheuse Valérie Patrin-Leclère, la « publicitarisation » consiste à « scruter ce que la publicité fait aux médias, dans leur forme et dans leur contenu », « à s’immiscer dans le contenu éditorial, par exemple dans le cadre d’un traitement journalistique ou d’un placement de produit ».

Warner Bros et Wired Brand Lab avaient alors imaginé une (fausse) interview de l’ennemi de Superman, sur un site consacré au film –Batman v Superman : Dawn of Justice (2016). Au cours de cet entretien avec le journaliste Ron Troupe, Lex Luthor explique le projet de son entreprise LexCorp, qui se différencie de sa concurrente Wayne Enterprise : « Pour permettre à la justice de passer dans ce nouveau paradigme mondial, nous devons nous améliorer, investir dans de nouvelles technologies qui généreront un profond changement, penser au-delà de la boîte de Pandore. Qui a les ressources pour faire ça ? Le gouvernement ? Non. La seule chose qui maintient ce vieux sac à main désormais, c’est une montagne de paperasserie incompréhensible. Des justiciers comme Batman ? OK, mais à condition qu’ils aient d’infinies richesses à portée de main. »

Il s’agit ici d’un ancrage fictionnel fort dans la stratégie mercatique déployée autour du film, dans la même lignée que les communications précédentes. Ainsi, dans les dernières adaptations cinématographiques du Chevalier noir, nous avons affaire à une stratégie de dé-différentiation des sphères économique et créative. Il s’agit de troubler les frontières entre le réel et la fiction pour favoriser la porosité du média et de la narration. Les campagnes de promotion permettent à ce titre d’envisager un glissement sémiotique entre l’univers de fiction et les dispositifs médiatiques guidés par la logique économique.

Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, OMNES Education

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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