Le « boycott », un art de la résistance passive à travers les siècles

Economie

Sanctionné par ses employés et fournisseurs, l’intransigeant capitaine Boycott (1832-1897) a donné malgré lui son nom à cette forme d’action de rétorsion, perçue à ses débuts comme l’arme des opprimés. Le boycott s’est aujourd’hui adapté aux évolutions de nos sociétés mondialisées.

Histoire d’une notion. Fin mars, l’acteur américain George Clooney lançait un appel au boycott de neuf hôtels de luxe détenus par le sultanat de Brunei, pour protester contre la nouvelle législation de ce pays d’Asie du Sud-Est qui prévoit la peine de mort en cas d’homosexualité ou d’adultère. Au Maroc, où les produits laitiers du groupe Danone, jugés trop chers, sont boycottés depuis avril 2018, les ventes ont enregistré une chute historique. En Algérie, plusieurs dizaines de maires annoncent vouloir boycotter la présidentielle du 4 juillet en signe de soutien aux revendications populaires… Dans sa verte Irlande du XIXe siècle, le capitaine Boycott ne soupçonnait sans doute guère que son nom franchirait ainsi le temps et les frontières.

Si cette forme de contestation collective vise aujourd’hui toutes sortes d’activités – commerciales, politiques, culturelles, sportives –, c’est en effet dans la lutte des classes du comté irlandais de Mayo que le mot trouve son origine. En 1880, l’Anglais Charles Cunningham Boycott (1832-1897) y gère d’une main de fer l’immense domaine de lord Erne et expulse de leurs terres tous les paysans locataires qui ne peuvent plus assumer leur loyer. Deux hommes politiques, Charles Parnell et Michael Davitt, proposent alors une tactique de rétorsion aux expulsés : rompre toute relation commerciale ou de service avec le capitaine Boycott et avec les paysans qui ont repris leurs terres.

« Affaiblir un adversaire »

Très vite, les résultats se font sentir. « Le mot d’ordre donné, écrivait en 1909 dans la Revue des deux mondes le journaliste René Pinon, on vit, sur les terres de lord Erne, les bergers abandonner leurs troupeaux, les paysans se croiser les bras en face des récoltes mûres, le maréchal-ferrant refuser de ferrer les chevaux de Boycott, le boulanger de lui fournir du pain, le facteur de lui remettre ses lettres. » L’homme finira par quitter la région, mais laissera son nom à la postérité. Le « boycott », ou boycottage, franchit rapidement les mers pour gagner le continent – devenant boicot en espagnol, boicottaggio en italien, boykott en allemand. Le dictionnaire de l’Académie française le considérera longtemps comme un anglicisme, avant de l’admettre, en 1986, dans sa neuvième édition.

Si le mot date du XIXe siècle, la pratique, elle, remonte à des temps très anciens. « Ostraciser, mettre à l’index, mettre au ban, excommunier, frapper d’un embargo ou encore d’un blocus : comme le boycott, toutes ces actions ont pour but d’affaiblir un adversaire en l’isolant socialement ou économiquement », rappellent les chercheuses Ingrid Nyström et Patricia Vendramin dans leur ouvrage Le Boycott (Les Presses de Sciences Po, 2015). Le boycott s’inscrit dans la continuité de ces sanctions, dont certaines remontent à la Grèce antique et au premier christianisme. Mais plus que les autres, il apparaît comme l’arme des opprimés, la tribune des sans-voix et des minorités. Une forme de résistance passive difficilement réprimable par les autorités, qui s’est ancrée avec force dans le répertoire de l’action collective, notamment dans les pays anglo-saxons. « Aux Etats-Unis, précisent Mmes Nyström et Vendramin, le recours à ce mode d’action est aussi systématique que l’appel à la grève ou à la manifestation en France. »


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