Jeux olympiques Paris 2024 : une opportunité pour penser le sport

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Simulation de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Paris 2024

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Jeux olympiques Paris 2024 : une opportunité pour penser le sport

Simulation de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Paris 2024
William Gasparini, Université de Strasbourg

À moins d’un an de l’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, la communication du Comité d’Organisation et de ses partenaires (médias, entreprises, État…) bat son plein en vue de construire « l’héritage immatériel des jeux ». Émissions télévisées consacrées aux JOP, interviews d’athlètes, consultants et organisateurs, publicités se rejoignent pour mettre en avant le logo de Paris 2024 et délivrer ce message hérité de l’idéologie coubertinienne de la fin du XIXe siècle : les Jeux olympiques et paralympiques constituent l’acmé d’un sport vertueux, porteur de valeurs positives qui irriguent la société tout entière. Le sport serait donc ouvert à la diversité, inclusif, éducatif, fraternel, moral.

Cependant, au-delà de l’impact éventuel – et discutable – du spectacle des JOP sur le taux de pratique sportive, la santé physique ou sur le « moral » des Français (en cas de victoire des athlètes français), l’approche de ce méga-événement sportif devrait également être le moment privilégié pour mener une réflexion sur le sens du sport, ses valeurs, ses fonctions et son rôle dans notre société. Le sport est-il éthique en soi ? La compétition sportive a-t-elle des vertus et lesquelles ? Au-delà des effets d’annonce, le sport sera-t-il réellement paritaire en 2024 ? L’héritage évoqué n’est-il pas qu’un exercice de communication et parle-t-il aux citoyens ?

Les futurs Jeux devraient être l’occasion de susciter auprès des publics des réflexions touchant aux domaines économique, politique, social ou environnemental à partir des recherches les plus récentes en sciences humaines et sociales et des débats citoyens développés par des opposants aux Jeux olympiques. Les arguments présentés constituent de précieux matériaux pour apprendre à penser nos sociétés.

Ils illustrent également « l’exigence de réflexivité scientifique » (selon les mots de Pierre Bourdieu) qui s’est imposé comme principe incontournable en sciences humaines et sociales. Lors de sa participation au colloque « Football et cultures » organisé au CNRS à l’occasion du Mondial de football de 1998 en France, le sociologue rappelait en effet que, plus que tout autre objet social, le sport se pare d’un écran de discours préconstruits ou passionnés qui sont « le pire obstacle au travail scientifique ». Selon lui,

« Il est difficile de parler scientifiquement de sport parce que c’est, en un sens, trop facile : il n’est personne qui n’ait sa petite idée sur le sujet et qui ne se sente en mesure de tenir des propos qui se veulent intelligents. »

Un fait social total

Plus de 20 ans après, sa phrase est toujours d’actualité. À l’approche des JOP, tous se saisissent, à leurs fins, de « l’objet sport » : sponsors des grandes entreprises, chercheurs et consultants non spécialistes de sport, journalistes et commentateurs de shows télévisées, élus politiques et membres du gouvernement, chefs d’entreprise… Les sports de compétition présentés aux JOP reflètent-il la réalité des activités physiques et sportives dans notre société ?

À l’instar de l’intellectuel subversif Pier Paolo Pasolini, peut-on porter un regard critique sur les JO tout en célébrant le sport ? Passionné de football, le sport populaire par excellence (mais très critique à l’égard des JO « bourgeois »), il déclarait en 1970 :

« Le sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels. »

Fait social total, le sport recouvre effectivement toutes les formes d’engagement physique et tous les secteurs de la vie sociale : santé, économie, politique, médias, diplomatie, éducation, formation universitaire, développement durable, jeux vidéo… Aucun de ces univers n’échappe désormais au sport.

« Le » sport n’existe pas

Par ailleurs, entre le sport de haut niveau des JOP et l’activité physique de loisir, il existe non seulement des degrés d’engagement mais également des controverses théoriques. De quoi parle-t-on ? Du sport ou des sports ? Du loisir à caractère sportif et des exercices d’entretien du corps – activités majoritaires dans notre société – ou du sport de compétition – activité largement minoritaire ? Définir le sport semble relever d’un pari intenable tant les pratiques sont diverses, les frontières incertaines et les liens entre les sports du passé et ceux d’aujourd’hui discutables.

Ainsi, même si les images et la scénographie perdurent (mouvement des corps, opposition entre athlètes…) et si le récit olympique construit une filiation « naturelle », le sport moderne apparu au XIXe siècle n’a pas grand-chose à voir avec les jeux de l’Antiquité ou les jeux populaires traditionnels du Moyen-Age. « Tradition inventée » (au sens de l’historien Eric Hobsbawm) dans les sociétés capitalistes, le sport moderne rassemble des pratiques d’exercice corporel dotées de règles universelles et d’espaces spécifiquement sportifs permettant notamment la comparaison des résultats de la compétition, à la différence des formes agonistiques précédentes.

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Enfin, la fabrication d’une éthique proprement sportive le distingue des fonctions sacrées passées. Le vocable « sport » au singulier n’a aucune réalité tant est extrême la diversité de formes et de rapports à l’activité physique. Présenter le sport comme intemporel, apolitique et englobant toutes les pratiques est une invention de ses premiers promoteurs issus de l’élite sociale. Cet objet désignait conjointement un idéal (l’éthique sportive ou l’esprit sportif) et une pratique physique de compétition régie par des règles communes.

Le sport est-il éthique en soi ?

Dès lors, pour le mouvement olympique, l’esprit sportif irrigue tous les sports. Pour les institutions (sportives ou éducatives), « faire du sport » c’est non seulement se dépenser physiquement dans un cadre sportif mais surtout acquérir une morale, un « esprit olympique » et, plus récemment, une forme de citoyenneté. Ainsi en est-il de la conviction largement partagée que la pratique sportive peut produire, au-delà des stades et de manière quasi mécanique, un comportement citoyen et éthique.

Or, contrairement aux discours actuels dans la perspective de Paris 2024, le sport ne contient pas de valeurs positives intrinsèques. Il porte les valeurs qu’on lui attribue et que les cadres de l’action sportive ou de l’action publique lui assignent. De même que le sport n’est pas vertueux, éducatif ou intégrateur en soi, il n’existe pas un sport en soi.

Outre les activités qualifiées officiellement de sportives, toute activité peut être revendiquée aujourd’hui comme telle par les pratiquants eux-mêmes, du jeu d’échecs au jardinage, en passant par le fitness, l’aquagym, l’e-sport ou la marche urbaine (première activité physique pratiquée par les Français).

Le sport de compétition pratiqué à l’occasion des JOP ne représente finalement qu’une infime partie de l’univers sportif.

L’abomination du corps féminin

Enfin, la légende olympique occulte généralement une autre réalité, plus androcentrée. Ainsi, Pierre de Coubertin, « père » des Jeux olympiques modernes, était hostile à la participation des femmes aux Jeux olympiques. Il déclarait en 1912 :

« Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. »

Dans le sport comme dans les discours religieux, le corps des femmes a longtemps été un enjeu de domination masculine et un objet tantôt érotisé, tantôt sacralisé par la maternité. Mais au cours du XXe siècle, des résistances s’organisent et les femmes s’engagent graduellement dans les pratiques physiques à mesure que la société se laïcise et que les femmes s’émancipent. Sportive, porte-parole pour la cause des femmes dans le sport mais oubliée de l’histoire, c’est Alice Milliat qui créa les jeux mondiaux féminins à Paris en 1922, en réaction à ce refus d’accepter les femmes aux JO.

C’est en 1928 que les femmes participèrent pour la première fois aux Jeux en athlétisme. Enfin, c’est dans le contexte des mouvements féministes des années 1960-70 qu’elles conquirent une place croissante dans le monde du sport. Néanmoins, elles se heurtent toujours à un plafond de verre non plus sur les terrains mais dans les instances du pouvoir sportif. Ainsi, aujourd’hui, seules deux femmes dirigent une fédération olympique. Et l’expression « sport féminin » banalisée dans le langage courant, matérialise et ancre encore et toujours la connotation masculine du terme sport, dénué d’adjectif quand il s’agit des hommes.

William Gasparini, sociologue, professeur, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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