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Les salariés du privé s’octroient-ils un jour de congé supplémentaire aux frais de l’Assurance-maladie ? C’est ce que semble insinuer Edouard Philippe dans un entretien au Journal du dimanche, publié le 26 août. En présentant ses orientations budgétaires pour 2019, le premier ministre a alerté sur l’enjeu « considérable » de la hausse des arrêts maladie, qui « veut dire qu’on a moins d’argent pour les hôpitaux et les nouveaux traitements ».

Ce qu’il a dit :

« Chaque année, un peu plus de 10 milliards d’euros sont consacrés à l’indemnisation des salariés arrêtés, et ce volume progresse de plus de 4 % par an. En trois ans, le nombre de journées indemnisées est passé de onze à douze par an et par salarié du privé. C’est comme si notre pays avait instauré un jour de congé supplémentaire. »

Pourquoi c’est trompeur

Les « 10 milliards d’euros » et « 4 % de hausse » évoqués par le premier ministre sont des chiffres exacts, issus des comptes de la Sécurité sociale pour 2017. On constate une hausse continue des indemnités journalières versées par l’Assurance-maladie dans les dernières années et l’augmentation atteint même 4,4 % entre 2016 et 2017.

Si l’on s’en tient aux arrêts pour maladie, hors accidents du travail et maladies professionnelles, l’augmentation est continue depuis 2012, passant de 6,3 milliards d’euros à 7,1 milliards d’euros, soit 15 % de hausse. 

Pour affirmer que les arrêts maladie représentent « douze [journées] par an et par salarié du privé », le premier ministre a divisé le nombre de journées indemnisées (227 millions en 2016) par le nombre de salariés du privé, c’est-à-dire environ 19,5 millions de personnes.

Seul un salarié sur quatre bénéficie d’un arrêt maladie

C’est cette équation qui est trompeuse, car il s’agit d’une moyenne. Or, selon le rapport de la Sécurité sociale, ce ne sont pas 19,5 millions de salariés du privé qui ont bénéficié d’arrêts maladie indemnisés en 2016, mais seulement 4,9 millions, c’est-à-dire quatre fois moins. En revanche, leur durée est assez élevée, trente-cinq jours en moyenne.

Là encore, on constate de fortes disparités : 6 % des arrêts durent plus de six mois mais ils représentent 44 % des montants indemnisés, alors que les 44 % d’arrêts de moins de huit jours ne comptent que pour 4 % du total.

Des arrêts plus longs liés à la réforme des retraites

Les arrêts de longue durée sont toujours plus nombreux et coûtent très cher. Mais à quoi sont-ils dus ? « Au décalage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans », selon le rapport sur les comptes de la branche maladie pour 2017. Entre 2010 et 2016, parmi les bénéficiaires des indemnités journalières, la part des plus de 60 ans est passée de 4,6 % à 7,7 %.

La durée moyenne d’un arrêt indemnisé s’établit à soixante-seize jours pour les 60 ans et plus, contre cinquante-deux jours pour les 55-59 ans et seulement dix-huit jours pour les moins de 25 ans.

La hausse des arrêts maladie n’est pas seulement liée à l’âge, mais aussi aux conditions de travail (pénibilité physique, pressions, burn-out, etc.). Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales demande ainsi un meilleur contrôle des arrêts maladie et davantage de précisions sur les motifs. Au début d’août, le gouvernement avait d’ailleurs proposé de transférer aux employeurs le financement des arrêts de courte durée, pour les responsabiliser sur les conditions de travail de leurs salariés. Une piste qu’Edouard Philippe semble avoir écartée.

Quant à la dernière phrase, qui insinue que la hausse des arrêts pour maladie correspondrait à « instaurer un jour de congé supplémentaire », elle semble bien exagérée. Même s’il existe des abus et des fraudes, on ne peut pas comparer un arrêt de travail prescrit par un médecin, pour des raisons médicales, et assorti de conditions précises (horaires de visite à respecter, traitement à suivre, visites de contrôle, etc.), à une journée de congé que chaque salarié serait libre de choisir à sa guise pour bronzer en bord de mer.


Lire la suite : Edouard Philippe se trompe en comparant arrêt maladie et congé


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