Carence en fer : comment y remédier par son alimentation

Santé

Gérer ses apports en fer par son alimentation n'est pas si simple. Evan Lorne / Shutterstock

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Carence en fer : comment y remédier par son alimentation

Gérer ses apports en fer par son alimentation n'est pas si simple. Evan Lorne / Shutterstock
Philippe Cayot, Institut Agro Dijon

Le fer est indispensable à notre bonne santé, c’est un fait. Mais comment nous assurer que notre alimentation nous apporte ce dont nous avons besoin ? Commençons par détruire un mythe… Les épinards de Popeye ne sont pas riches en fer. La teneur n’y est que 2,1 mg par 100 g d’épinards frais.

Autre mythe : il est souvent accordé aux légumineuses une grande richesse en fer… mais les données affichées sont généralement indiquées en mg par 100 g de légumineuses sèches non comestibles ! Elles sont en effet indigestes si elles ne sont pas réhydratées et cuites. Il faut en réalité tenir compte de la teneur en fer d’un aliment prêt-à-consommer.

Les produits animaux sont ainsi généralement plus riches en fer, y compris par rapport aux produits végétaux recommandés pour leur teneur en protéines importante et donnés comme alternatives aux viandes.

Ces quelques chiffres permettent de se faire une idée des teneurs en fer que l’on retrouve à l’état naturel : 0,4 mg dans 100 g de radis rose, 0,6 mg/100 g de tubercule de pomme de terre, 1 mg/100 g de laitue, 1,2 g/100 g d’artichaut, 1,3 g/100 g de ciboulette, 1,7 g/100 g de fève (données Ciqual). En remontant la chaîne alimentaire, vous trouverez 2,2 mg de fer par 100 g de viande crue de bœuf (entrecôte), 6,6 mg/100 g de foie cru de lapin. Prédateur ultime, l’humain contient environ 5 mg/100 g. Et dans l’univers marin, le wakamé, une macroalgue, est à 2,2 mg par 100 g de produit frais (USDA, Food Data Central) quand, en bout de chaîne, le foie de morue monte à 4 mg par 100 g.

Teneur en fer dans quelques aliments, animaux et végétaux, en mg par 100g d’aliment prêt-à-consommer. Ph Cayot, d’après des données extraites du site web CIQUAL (Anses, 2020), Fourni par l'auteur

Le fer est donc en faible concentration dans les tissus. Il n’est, en outre, pas assimilable à 100 % mais plutôt entre 1 et 20 % seulement… Et jusqu’à 40 % dans quelques rares cas. Pour couvrir les besoins de notre espèce, il faut donc a minima 8 mg de fer dans l’apport quotidien d’un Homo sapiens adulte mâle, jusqu’à 30 mg pour une Homo sapiens en gestation…

Le fer ingéré n’est pas le fer assimilé

Sa teneur en fer ne suffit pas à qualifier un aliment comme une « bonne » source en fer : il faut s’intéresser à la biodisponibilité du fer qu’il contient, soit la fraction qui peut être récupérée et utilisée par le corps. Et là encore, il y a des différences entre sources animales ou végétales.

À quantité de fer ingérée quasi identique, un essai clinique a montré une meilleure assimilation du fer avec un régime alimentaire contenant des produits animaux face à un régime végétarien – avec une absorption six fois plus élevée du fer d’origine animale.

Il faut bien appuyer cette réalité régulièrement confirmée scientifiquement : le fer animal est plus assimilable (biodisponible) que le fer végétal. L’explication provient de la nature du fer impliqué.

Apport de fer journalier (mg/j) et quantité de fer réellement absorbé (mg/j), pour une cohorte suivant un régime végétarien et une autre cohorte avec une régime contenant des produits animaux. Ph Cayot, d’après des données extraites de Hunt, 2003, Fourni par l'auteur

Dans un produit carné, une partie du fer est sous forme « héminique » (le fer dans la viande est associé à la myoglobine, dans le boudin noir à l’hémoglobine) qui est très assimilable : jusqu’à 15 à 40 %. Pour être précis, dans le cas de la viande, 40 % du fer est sous forme héminique, le reste du fer étant sous forme ionique (Fe2+) mais « non complexé » et donc assez disponible – j’y reviendrai.

À titre de comparaison, dans le cas du « fer non-héminique » (fer des légumineuses, des lentilles ou du pois chiche par exemple), seuls de 1 à 15 % du fer peut être assimilé.

Pour expliquer cette différence, il faut revenir sur ce qui se passe au niveau de l’intestin : dans un premier temps, les cellules intestinales (au niveau du duodénum, partie du gros intestin qui fait suite à l’estomac) absorbent le fer des aliments par deux voies : l’une par transport des hémoprotéines (hémoglobine, myoglobine) et l’autre spécifique de la forme ionique du fer dite « Fer II » ou Fe2+.

Le fer végétal est souvent « complexé », c’est-à-dire qu’il est lié à d’autres molécules (du phytate chez les légumineuses et des céréales, ou l’acide oxalique dans les noix, fruits, etc.) Non libre, il en devient difficilement assimilable.

Autant le fer d’origine animale, non complexé ou inclu dans une hémoprotéine, peut être facilement récupéré, autant celui d’origine végétale, complexé, doit être « libéré » par l’acidité de l’estomac puis modifié (réduit de FerIII à FeII) avant de pouvoir être capté.

Comment optimiser ses apports en fer

Une expérimentation a proposé à des hommes deux menus dont les apports en fer étaient identiques mais dont les compositions étaient a priori plus ou moins favorables à son assimilation. L’un d’eux limitait les apports en protéines animales (donc peu de fer héminique) et était pris avec du thé, des fruits riches en polyphénols, des apports limités en vitamine C ; l’autre privilégiait la viande, avec apports importants de vitamine C avec des jus d’orange.

Les chercheurs ont démontré que le premier menu réduisait fortement la biodisponibilité du fer. Seuls 1 à 15 % du fer non héminique est absorbé contre 30 à 49 % avec un menu plus favorable. Au final, l’absorption du fer s’est avérée de 4 à 8 fois plus importante avec le repas riche en viande, en vitamine C, que le menu sans viande avec consommation de thé.

  • Ce qu’il faut éviter pour favoriser l’assimilation du fer :

Il faut éviter d’associer un produit laitier (lait, fromages) à un aliment qui permet des apports de fer, de lentilles, du tofu, un houmous pour les végétariens, de la viande rouge pour les omnivores.

La consommation de produits laitiers dans un repas réduit en effet la biodisponibilité du fer. L’hypothèse longtemps avancée était que le calcium était un concurrent pour le transporteur membranaire du fer mais on sait aujourd’hui qu’il en est plutôt un régulateur capable de réduire très fortement son absorption.

Parmi les inhibiteurs ou répresseurs d’absorption du fer, on compte également les tanins du thé ou du café, les phytates (les phosphates d’inositols) des céréales et des légumineuses, les polyphénols des fruits rouges ou bleus noirs, du vin et du cacao, la pectine des fruits, pommes, coings…

Pour ne pas gêner l’assimilation du fer, il s’agira donc d’éviter le thé comme boisson durant le repas, le vin ou les jus de fruits riches en polyphénols (jus de raisins, de cassis, de myrtille) et de différer la prise de produits laitiers ou de lait sur d’autres repas que celui où est consommé de la viande.

  • Ce qu’il faut privilégier pour favoriser l’assimilation du fer :

Les fruits et légumes frais riches en vitamine C (poivrons, choux, kiwi, orange), les légumes riches en vitamines A (patates douces, carottes, épinard, potiron), mais surtout les produits animaux (viande de bœuf, de volaille, poisson, fruits de mer) favorisent grandement l’absorption du fer.

Le cas des végans

Sans compléments alimentaires pharmaceutiques, il est nécessaire d’adopter des stratégies qui favorisent l’absorption du fer dans les aliments d’origine végétale.

Il est par exemple nécessaire de pratiquer un trempage des légumineuses de longue durée (24 à 48h) pour lever la dormance des graines et activer les phytases, des enzymes dont l’action permettrait une libération d’ions ferriques. Les essais d’ajout de phytase ont déjà été expérimentés pour accroître la biodisponibilité du fer mais cette solution, coûteuse et lourde, s’applique difficilement sur une purée de légumineuses pour donner au final des résultats décevants.

La consommation de vitamine C n’a pas semblé non plus favoriser l’assimilation du fer dans nos expérimentations sur une purée de pois chiche(réalisées sur modèle cellulaire et non organisme entier). En revanche, l’acidification de la purée de pois chiche (ou celle de houmous) par du jus de citron a accru la biodisponibilité du fer.

Dans nos modèles, l’absorption du fer est plus importante pour la purée de pois chiche que pour le houmous, mélange de pois chiche et de purée de sésame. La purée de sésame contient en effet de l’acide phytique, ce qui accroît la rétention du fer par la matrice alimentaire. Quant à l’action positive du jus de citron, notre hypothèse est que l’acidification a permis de libérer une partie du fer « complexé ».

Quelles solutions nutraceutiques pour les régimes sans viande ?

Idéalement, hors de tout choix éthique, spirituel et cultuel, pour la question des apports en fer, il serait préférable d’être flexitarien et d’apporter de manière régulière un peu de viande. Si votre régime est non carné, veillez donc de temps à autre à surveiller votre état de réserve de fer (taux de ferritine) par une analyse sanguine.

Il existe de nombreux compléments alimentaires, tels que les lactates de fer, citrate de fer, gluconate de fer ou sulfate de fer qui présentent de bonnes biodisponibilités – mais la prise de ces sels de fer induisent des effets secondaires (irritation du colon, etc.)

Actuellement, la majorité des polyvitaminés-polyminéraux vendus en pharmacie ou aux rayons diététiques des GMS ne contiennent pas un nouveau venu : le bis-glycinate de fer (N °CAS 20150-34-9 ; le CAS étant une sorte de numéro de sécurité sociale des molécules chimiques. À chaque molécule son identifiant enregistré dans une banque de données des États-Unis, de l’Amercian Chemical Society). Or ce dernier présente une très forte biodisponibilité et semble ne pas être un pro-oxydant – ce qui limiterait les effets indésirables habituels. Son association avec de l’acide folique (vitamine B9) semble accroître encore la performance de l’absorption du fer.

Par son grand confort d’usage et une bonne tolérance, il semble être le complément en fer le plus intéressant pour les végétaliens et végétariens : pas de nausée, pas de douleur intestinale, pas de constipation, pas de ballonnement ni de goût métallique… La biodisponibilité du fer apportée par le bis-glycinate de fer est de plus quatre fois moins affectée en présence d’inhibiteur d’absorption du fer que celle du sulfate de fer.

Que valent les aliments enrichis en fer ?

L’industrie agroalimentaire propose des produits enrichis en fer, comme les céréales pour petits déjeuners ou des gâteaux de petit-déjeuner et de rayon diététique.

Très souvent, il s’agit de fer « élémentaire », c’est-à-dire du fer métal, mais pas un sel de fer type Fe2+… Ajouté facilement, ce fer métal permet d’afficher une teneur importante sans avoir des problèmes de stabilité chimique durant le stockage. Des points noirs apparaissent par exemple dans les céréales quand le formulateur choisit d’enrichir avec du sulfate de fer.

Or, les molécules de transfert du fer de notre corps ne peuvent pas prendre en charge ce dernier sous forme métallique. Le fer métal est-il alors biodisponible ?

Il semble qu’il puisse se transformer en partie en sel de fer durant la digestion, sans doute dans l’estomac (milieu très acide, jusqu’à pH 2).

Pour 10 g de fer élémentaire ajouté à un aliment à base de soja, on obtient une biodisponibilité équivalente à 45 % de 10 g de sulfate de fer ajouté. Dans le pain blanc, la biodisponibilité est de 40 % celle obtenue avec de l’ascorbate de fer ajouté à la même masse. D’autres auteurs semblent attribuer au fer élémentaire une biodisponibilité plus faible, 21 % à 36 % selon le type de fer élémentaire. Le fer métallique n’équivaut qu’à 10 à 15 % de l’efficacité d’un sel de fer.

Une autre solution, récemment identifiée, serait d’ajouter du phosphate d’ammonium ferreux pour éviter l’altération des odeurs et de la couleur de l’aliment – par exemple dans des préparations laitières pour nourrisson. Le bis-glycinate de fer est une autre option à envisager pour fortifier un aliment sans risque majeur d’oxydation.

Nutri-score : des limites importantes sur la question du fer

En 2022, le NutriScore s’est imposé comme un acteur majeur dans les habitudes alimentaires des Français. Il permit d’améliorer les indices de qualité nutritionnelle des paniers des consommateurs et de réduire les calories, sucres et matière grasse saturée ingérées. Un impact qui s’observe aussi dans le reste de l’Europe.

Toutefois, à côté de ces atouts, le Nutri-score pose un vrai questionnement en ce qui concerne le fer. Les apports et fer ou la présence de complexants des minéraux qui en limitent l’absorption (phytates et oxalate généralement présents dans les légumes et légumineuses) n’y sont pas pris en compte.

La preuve par l’exemple, en comparant l’assimilation du fer et sa biodisponibilité pour deux aliments l’un jugé excellent d’un point de vue nutritionnel selon le Nutri-score, l’autre à éviter. Le consommateur ne dispose ainsi pas de repères simples pour le guider sur la question du fer.

  • Pois chiches : Nutri-score A mais faible biodisponibilité du fer :

Prenons une boite de conserve de pois chiches cuits, prêts à être réchauffés. Son Nutri-score est A : peu de lipides (3 g/100 g), encore moins d’acides gras saturés (moins de 0,3 g/100 g), des glucides (17,7 g/100 g) mais peu de sucres (0,3 g/100 g), des protéines en quantité non négligeable (8,3 g/100 g) et surtout beaucoup de fibres (8,2 g/100 g) (données Ciqual). Mais très peu de fer : 1,3 mg/100 g ! Et un fer très peu biodisponible, de 10 à 30 fois moins que pour un fer d’origine animale.

  • Boudin noir : Nutri-score D mais forte biodisponibilité du fer :

Le boudin noir est, lui, une source de fer importante (16,1 mg par 100 g de boudin poêlé) et fortement assimilable : environ 30 % du fer en moyenne est biodisponible. Sur cette grande quantité, 85 % sont un fer héminique. Mais son Nutri-score n’engage pas à sa consommation… Sans doute y-a-t-il aussi d’autres raisons ! Certes riches en protéine (11,3 g/100 g), il est classé D en raison de sa teneur en lipides (19,4 g/100 g), et surtout de sa forte teneur en sel (1,5 g/100 g). L’absence de fibre aggrave le score. En ajoutant des pommes (donc des fibres), le Nutri-score s’améliore toutefois et passe à C.

En conclusion

Que faut-il manger pour éviter les carences en fer ? Il n’y a pas d’aliment miracle…

Mangez si possible de temps à autre des produits carnés, sources efficaces d’apport en fer, accompagné d’un fruit frais ou d’un légume frais riche en vitamine C. Mais évitez, dans un même repas, de mêler des produits laitiers avec vos légumineuses, votre houmous, vos viandes. Éviter également vin, thé, café pour favoriser vos apports.

Faites tremper vos légumineuses (pois chiche, haricots rouges, noirs ou blancs, fèves, flageolets, lentilles, soja en graine) 48 h et changez l’eau fréquemment. Pour les pois chiches, choisissez une cuisson en cocotte-minute avec un ajout d’une pincée de bicarbonate dans l’eau. À la purée de pois chiche et de sésame, ajoutez un jus de citron frais pour favoriser l’assimilation du fer.

Si votre régime alimentaire exclut les viandes, attention aux compléments nutraceutiques pour corriger vos apports déficients en fer : ceux-ci provoquent des irritations coloniques et d’autres inconforts. Seul le bis-glycinate de fer semble apporter une solution sécurisée et efficace.

Attention également à ne pas abuser de viande. Il existe une relation claire entre cancer du côlon et consommation de viande rouge (riche en fer héminique). N’oublions pas que le fer est pro-oxydant : ces cancers pourraient être dus à l’oxydation de lipides de la membrane des cellules du colon.

« La vérité se trouve au milieu » ! La nutrition consiste en l’art d’équilibrer : un peu, de tout, raisonnablement, et de façon adaptée aux besoins spécifiques de chacun.The Conversation

Philippe Cayot, Professeur des Universités en Chimie & Formulation des Aliments et Chimie des Procédés Alimentaires, Institut Agro Dijon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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