BrewDog, succès d’une bière artisanale et amertumes managériales

Economie
The Conversation

En 15 ans, les tireuses BrewDog sont apparues dans de nombreux établissements comme ici à Londres. Bernt Rostad / FlickR, CC BY-SA

BrewDog, succès d’une bière artisanale et amertumes managériales

En 15 ans, les tireuses BrewDog sont apparues dans de nombreux établissements comme ici à Londres. Bernt Rostad / FlickR, CC BY-SA
Malu Villela, University of Bristol

Le brassage de la bière artisanale a vu le jour dans les années 1980. Les débuts ont été lents, mais l’activité est depuis devenue un marché relativement important. Parmi les histoires à succès dans ce milieu, il y a celle de l’entreprise écossaise BrewDog, fondée en 2007 par James Watt et Martin Dickie.

Quinze ans après avoir servi leur première pinte, ils ont fait de BrewDog l’un des leaders du secteur. En 2020, le chiffre d’affaires global de l’entreprise a augmenté de 10 %, les ventes en ligne de 900 % et la marge bénéficiaire brute de 48 %. Tout cela malgré la pandémie et le fait que la majorité des 100 bars possédés par l’entreprise ont été fermés pendant de longues périodes au cours de l’année. L’entreprise, actuellement évaluée à près de 2 milliards de livres sterling, emploie désormais plus de 1 600 personnes dans le monde.

BrewDog s’est développée grâce au crowdfunding (« financement par la foule » en français) et à la participation de milliers de petits investisseurs, convaincu par sa réputation de faire des affaires avec à cœur des valeurs sociales et environnementales. Souhaitant se distinguer des entreprises traditionnelles, la société a cherché à devenir « le meilleur employeur du monde » et parle de ses employés comme « le cœur battant de notre entreprise » et « la raison de notre existence ».

Malgré cette rhétorique, 2021 a été une année turbulente pour l’entreprise, à la suite d’allégations d’anciens employés selon lesquels il existait tout un système d’intimidation en interne. Dans une lettre ouverte datant de juin 2021, plus de 300 travailleurs anciens et actuels accusent l’entreprise d’avoir créé une « culture pourrie », au sein de laquelle la croissance est recherchée à tout prix et où les employés se sentent épuisés, misérables et ont peur de s’exprimer.

Une certification en trompe-l’œil ?

Ironiquement, la lettre a été publiée quatre mois seulement après que l’entreprise a été certifiée B Corp. Cette certification s’adresse aux entreprises qui répondent à des normes élevées de performance sociale et environnementale, de transparence et de responsabilité en vue de générer un impact positif sur leurs parties prenantes, travailleurs, communautés, clients, fournisseurs et environnement. BrewDog a reçu la note la plus élevée pour la dimension travailleurs.

Ces accusations, couplées à la décision de l’entreprise d’offrir des conditions financières attrayantes à des groupes de capital-investissement, ont suscité une vive inquiétude chez les 18 000 personnes qui avaient participé à la campagne de financement de BrewDog. B Lab, l’organisation qui gère la certification B Corp, a également fait part de ses préoccupations.

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En réponse, la société a présenté ses excuses et a annoncé son intention de mener une enquête indépendante pour vérifier le bien-fondé des allégations. Celle-ci a conclu que des erreurs avaient été commises et que la société allait prendre des mesures pour y remédier. Mais c’était trop peu, trop tard.

Un mois après l’annonce, les accusations font même la une des journaux après la diffusion d’un documentaire de la BBC, « The Truth about BrewDog » (en français, « la vérité sur BrewDog »). Le dirigeant et cofondateur de l’entreprise, James Watt, se trouve particulièrement ciblé : il aurait tenté de faire pression sur d’anciens employés pour qu’ils n’apparaissent pas dans le documentaire.

« The Truth about Brewdog », BBC.

Ce dernier, en mai 2022, annonce faire don d’un cinquième de ses actions personnelles à 750 de ses 2 200 employés via des options d’achat. Bien qu’il s’agisse d’une forme limitée d’actionnariat salarié, il a décrit ce geste comme étant « radical » et « fortement lié à la volonté de créer un nouveau type d’entreprise et de rendre à ceux qui se donnent pour elle ».

Le leadership et ses limites

Le cas de BrewDog soulève des questions importantes sur les limites des systèmes de certification comme sur le potentiel de l’actionnariat salarié. Ma thèse doctorale a comparé de manière approfondie quatre B Corps brésiliens de premier plan au cours de l’année 2015. Elle combine 57 entretiens de dirigeants et d’employés, des observations de terrain et une analyse de documents, notamment les rapports d’évaluation rédigés par B Lab.

L’enquête a révélé trois points essentiels : le rôle des dirigeants est décisif pour façonner la culture de ces entreprises ; cependant, la certification n’est pas toujours suivie de plans visant à combler les lacunes critiques restantes, notamment en ce qui concerne les processus de gouvernance des entreprises et les relations avec les travailleurs ; la gouvernance d’entreprise est un point clé pour trouver un équilibre entre objectifs et profits.

Suffit-il d’améliorer le leadership ou bien, est-ce en plaçant les travailleurs au centre du processus décisionnel que l’on fera la différence ? Des recherches menées auprès d’un groupe de petites et moyennes entreprises montrent que celles qui avaient une forme de propriété et/ou un modèle de gouvernance partagé avec les employés présentaient des niveaux d’engagement plus élevés avec les parties prenantes externes. En ayant une participation dans l’entreprise, les employés se sentent plus investis et intéressés par le développement de relations positives avec les clients, les fournisseurs, les communautés et l’environnement.

L’importance de l’actionnariat salarié pour renforcer la mission sociale est peut-être un aspect sur lequel le mouvement B Corp pourrait être plus explicite. Quant à BrewDog, c’est encore un pas timide, mais le brasseur semble aller dans la bonne direction pour privilégier la démocratie collective au leadership individuel sur le lieu de travail.


Créé en 2007 pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 700 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 38 pays. Pour en savoir plus, visiter le site ou bien suivre sur Twitter @AXAResearchFund.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.

Malu Villela, Senior Research Associate at the School of Management, University of Bristol

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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