#AlertePollution : à Angoulême, un produit cancérigène repéré dans les sols il y a plusieurs années remonte à la surface

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Dans le cadre de notre enquête participative, un internaute nous a signalé qu'un ancien site industriel avait pollué, au trichloroéthylène, le quartier résidentiel de Saint-Cybard.

Les murs des hangars sont recouverts de tags, les vitres sont cassées et la végétation reprend peu à peu ses droits. Dans la rue Jules-Durandeau, à Angoulême (Charente), un ancien site industriel tombe en ruines. Une usine de près d'un hectare, inoccupée depuis 2009. Landry vit juste à côté depuis 2013, avec sa femme et ses deux enfants en bas âge. En 2016, la famille décide d'acheter. "On s'est endetté sur 25 ans sur une somme non négligeable", raconte cet habitant. Jusque-là, la maison répond à ses attentes : le jardin est grand et le potager régale la famille. "On a une vue sur toute la ville", décrit Landry. Mais depuis quelques mois, l'usine voisine est devenue un danger à ses yeux, qu'il a décidé de signaler dans le cadre de notre enquête participative #AlertePollution.

Du trichloroéthylène dans l'eau et les sols

En mars dernier, les habitants du quartier ont reçu un courrier inquiétant, les prévenant qu'une pollution avait été détectée dans le voisinage et les conviant à une réunion publique. "A ce moment-là, les bras m'en tombent", se souvient Landry. Tout de suite, les yeux se tournent vers l'usine, ancien site de production de la Saft-Leclanché, qui jusqu'à 1984 a fabriqué, rechargé et réparé des piles, sans jamais être dépollué. Un arrêté municipal accompagne le courrier : "A titre de précaution, l'utilisation de l'eau des captages privés (puits, forages, sources) est interdite." Dans ce quartier proche de la Charente, les habitants sont contraints d'arrêter de remplir leurs piscines, arroser leurs potagers ou consommer l'eau issue des puits.

Le site de l\'ancienne usine Saft-Leclanché, dans le quartier Saint-Cybard à Angoulême.

Le site de l'ancienne usine Saft-Leclanché, dans le quartier Saint-Cybard à Angoulême. (J. DEBOEUF / AFP)

 

S'appuyant sur une étude lancée fin 2017, préfet, maire, président du département ou encore représentant de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) annoncent lors de cette réunion publique queles sols et les eaux souterraines contiennent, entre autres, des seuils importants de trichloroéthylène (TCE). Ce produit volatile, utilisé comme dégraissant de pièces métalliques, est un cancérigène avéré, comme l'indique le Haut Conseil de la santé publique. Il est interdit d'utilisation depuis 2016. "Ils nous disent que plusieurs grammes de pollution ont été détectés, mais sans en dire vraiment plus", regrette Landry. Il décide donc, avec l'aide d'un avocat, de saisir le tribunal administratif pour recueillir tous les documents liés au site.

Une pollution connue depuis plusieurs années

Rapidement, le département prend les devants et publie tout sur internet : l'arrêté municipal, le rapport réalisé en novembre 2017, le diaporama présenté au public le 22 mars et un "diagnostic pollution" datant de... novembre 2011. Soit plusieurs années avant l'annonce publique aux habitants. "Le département avait mandaté une société pour réaliser une étude de la pollution dès 2011 ! Plus de 100 pages. Le rapport précise que le site est contaminé. C'est écrit noir sur blanc.Mais rien n'a été dit !" déplore Landry. En 2012, un rapport complémentaire, consulté par franceinfo, a confirmé que les teneurs en trichloroéthylènerelevées étaient "supérieures aux seuils réglementaires imposés par l'Organisation mondiale pour la santé". Il est même précisé dans le texte les risques liés à ce solvant.

Face à ce constat, les services de l'Etat "auraient dû [dès 2011] creuser la question, engager des procédures",selon Jean Merlet-Bonnan, l'avocat de Landry. Ils "auraient pu en informer la commune, l'agglomération..." Mais rien n'a été fait. Ainsi, la base officielle de données Basol, qui référence les sites et sols pollués ou potentiellement pollués, "aurait pu être renseignée". Cela n'a pas été le cas.

Inquiétude et détresse des riverains

"Chez les habitants des logements concernés – parce qu'ils ne le sont pas tous dans le quartier – il y a une grande inquiétude", rapporte Romain Mathieu, président de Saint Cybard environnement, l'association des riverains. "De la détresse aussi : les maisons représentent les économies de beaucoup ici !" Nombre d'habitants craignent de ne plus pouvoir vendre leurs biens, notamment à cause de la mauvaise publicité découlant de l'affaire. 

Un voisin a son jardin qui donne directement sur le site de l\'usine, comme le montre cette photo prise en décembre 2018.
Un voisin a son jardin qui donne directement sur le site de l'usine, comme le montre cette photo prise en décembre 2018. (DR) 

Les habitants du quartier se sentent trahis après des années de silence de la part des autorités.En effet, il a fallu attendre fin 2017 et un projet de réhabilitation de la friche industrielle, comme l'indique La Charente libre, pour mener de nouvelles analyses."Ça me rend malade. Ils ne se rendent pas compte ! J'ai envie de leur dire : 'J'ai un cerisier dans mon jardin, vous mangeriez mon clafoutis ?'" s'agace Landry. Dans les couloirs du conseil départemental, on comprend leur détresse. Sous couvert d'anonymat, une employée glisse à franceinfo : "Les habitants se sentent abandonnés. Ça fait plusieurs années que c'est pollué."

Difficile d'identifier les responsables

Comment la pollution a-t-elle pu être aussi longtemps passée sous silence ? Aux questions des habitants, les autorités ont simplement confessé avoir "perdu de vue le site", rapporte Jean Merlet-Bonnan. Depuis, les services se renvoient la balle quant aux défaillances sur l'alerte. "Il aurait fallu être au cœur du dispositif à l'époque pour tout connaître aujourd'hui. Il existe encore des zones grises" sur ce qu'il s'est passé il y a six ans, se défend le conseil départemental, aujourd'hui propriétaire du site, à franceinfo. Et de préciser que "l'Etat avait été informé en 2011 de l'existence d'une étude". Interrogé sur ce point par la sénatrice de la Charente, Nicole Bonnefoy, le ministère de la Transition écologique et solidaire explique avoir bien été prévenu qu'une pollution avait été détectée et que le résultat d'investigations complémentaires allait lui être transmi. Mais il affirme n'avoir jamais rien reçu de plus de la part du département.

Difficile de savoir aujourd'hui qui sont les héritiers de l'ancienne usine. Si la Saft-Leclanché n'existe plus en tant que telle, une société nommée Saft perdure toujours, mais celle-ci assure à franceinfo ne plus avoir de liens avec le site pollué : "Nous ne sommes pas les ayants droit.""Alcatel-Lucent (...) aurait repris les activités de l'entreprise",écrivait le ministère de la Transition écologique début novembre en réponse à Nicole Bonnefoy.Mais sollicitée par franceinfo, le groupe n'a pas donné suite. Pour l'instant, les différents acteurs assurent que la priorité est ailleurs.

Et les habitants semblent en être satisfaits. "Les pouvoirs publics prennent la situation au sérieux. Bien trop tard, mais la pollution est prise en main", salue Romain Mathieu. Une avancée que Landry attend avec impatience : "Quand la dépollution sera engagée, on retrouvera nos vies."

"La dépollution est possible"

Une première campagne de mesures s'est achevée dans plusieurs dizaines d'habitations autour du site pour mesurer cette fois-ci la pollution à l'intérieur des domiciles des riverains. Car le trichloroéthylène infiltré dans les eaux souterraines peut s'évaporer. Au total, "10% des maisons contenaient du trichloroéthylène à des taux faibles – entre 2 et 10 ?g/m3 d'air", décrit Vincent Colas, directeur général adjoint du pôle Infrastructures et Aménagement du territoire du conseil départemental. Pour celles-ci, "on fera en sorte d'intervenir dans les plus brefs délais". Les services de l'Etat se sont aussi concentrés sur les établissements recevant du public dans la zone de pollution : crèche, école et musée de la Bande dessinée. "On a trouvé aucune trace dans l'air dans le bâtiment", rapporte l'adjoint, qui précise que les alentours ne sont, eux, pas épargnés.

Une deuxième campagne est en cours pour approfondir et élargir ces premières analyses à plusieurs centaines de maisons. Les conclusions seront connues en avril 2019. "Je ne cacherai rien et surtout, on fera la lumière sur l'ampleur de la pollution, les risques encourus et si possible sur son origine. Il est également important de déterminer l'étendue des travaux de réhabilitation à réaliser pour éliminer la pollution", affirme le maire d'Angoulême, Xavier Bonnefont, à La Charente libre. Pour ce qui est de la suite, donc : "La démolition est prévue, indique Vincent Colas. La dépollution est possible." Impossible pour l'heure de savoir combien de temps elle pourrait prendre. Après ça, certains habitants envisagent déjà de se rendre au tribunal pour obtenir des réponses.


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