Sardines, maquereaux et autres poissons gras : contre le cancer, l’intérêt des oméga-3 et lipides du milieu marin

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Sardines, maquereaux et autres poissons gras : contre le cancer, l’intérêt des oméga-3 et lipides du milieu marin

Christophe Vandier, Université de Tours; Aurélie Chantome, Université de Tours; Caroline Goupille, Université de Tours; Emmanuel Gyan, Université de Tours; Gaëlle Fromont-Hankard, Université de Tours; Karine Mahéo, Université de Tours; Lobna Ouldamer, Université de Tours; Marie Potier-Cartereau, Université de Tours; Marion Papin, Université de Tours et Olivier Hérault, Université de Tours

Les lipides issus du milieu marin se révèlent prometteurs contre les cancers. Certains, à l’image des acides gras oméga-3 présents dans des aliments comme les poissons gras, pourraient agir en prévention. D’autres sont des sources d’inspiration pour développer des molécules thérapeutiques.


Le milieu marin représente une très grande diversité inexploitée de la flore et de la faune, et donc une forte probabilité de découverte de nouvelles molécules à visée thérapeutiques. Il comporte notamment des molécules qui ont montré un fort potentiel anticancéreux.

On pourrait citer la cytarabine inspirée de molécules issues d’une éponge des Caraïbes (Cryptotethya crypta) et utilisée dans certaines formes de leucémies ou encore, dans le cas des lipides d’origine marine, la miltefosine (qui est indiquée dans le traitement des métastases cutanées du cancer du sein).

Le milieu marin est la source majeure de lipides (communément appelés « les graisses ») connus pour leurs effets inhibiteurs du développement tumoral. Ces lipides d’origine marine peuvent être utilisés selon deux approches complémentaires. La première approche est nutritionnelle avec, notamment, l’alimentation. La seconde approche est basée sur le développement d’agents anticancéreux lipidiques dont les structures moléculaires sont issues ou inspirées du milieu marin.

Cibler les cellules cancéreuses ou l’environnement de la tumeur

Quelles que soient les approches, ces lipides d’origine marine vont agir sur des cibles spécifiques des cellules tumorales ou du microenvironnement tumoral. L’objectif est d’intervenir de façon globale sur l’ensemble de l’organisme de la personne malade ainsi que sur la tumeur elle-même afin de prévenir ou d’inhiber la croissance tumorale, de sensibiliser les cellules tumorales aux traitements anticancéreux (la chimiothérapie, la radiothérapie et l’immunothérapie) et de ralentir la dénutrition liée au cancer.

En influençant certaines étapes du développement et de la progression des tumeurs, les facteurs alimentaires stimulent ou inhibent leur formation. Ainsi, l’apparition de plusieurs types de cancers pourrait être retardée si l’apport des composants alimentaires qui stimulent le développement tumoral était restreint dans l’alimentation ou, inversement, si des facteurs à activité inhibitrice étaient apportés.

Sardines, maquereaux et autres poissons gras, sources marines d’oméga-3

Parmi les lipides d’origine marine, figurent :

  • les acides gras polyinsaturés oméga-3 apportés par l’alimentation. Ils sont présents dans les poissons gras comme la sardine, le maquereau et le hareng.

  • des éther-lipides que l’on retrouve par exemple dans l’huile de foie de requin et les coquilles Saint-Jacques.

Ces différents types de lipides (acides gras polyinsaturés des phospholipides et éther-lipides) sont des constituants des membranes des cellules, notamment les cellules cancéreuses. Au niveau des cellules cancéreuses, ces lipides et leurs dérivés peuvent aussi agir sur la transmission des signaux qui interviennent dans le développement de la tumeur.


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Les mécanismes moléculaires et cellulaires par lesquels ces lipides agissent sur le développement tumoral, la croissance, la migration et l’invasion des cellules cancéreuses, ainsi que la réponse aux traitements sont en cours d’investigation, notamment dans notre unité de recherche mixte Inserm – Université de Tours, UMR 1069 « Niche, Nutrition, Cancer et métabolisme Oxydatif (N2COx) ».

Cancers du sein, de la prostate, leucémies : des acides gras anti-tumeur

Ces dernières années nous avons identifié plusieurs lipides ou classes de lipides d’origine marine qui exercent des activités anti- ou pro-tumorales. Ces lipides agissent sur la cellule cancéreuse en s’incorporant dans les membranes où sont situées des protéines cibles de ces lipides (notamment des canaux ioniques).

Dans le cancer de la prostate, nous avons identifié, parmi ces lipides, des oméga-3 (tels que l’EPA ou l’acide eicosapentaénoïque) dont la présence est associée à une plus faible agressivité du cancer de la prostate.

Au niveau des cellules cancéreuses, l’oméga-3 EPA bloque un processus complexe qui met en jeu un canal baptisé canal SK3. Or le canal SK3 favorise – entre autres – la migration de cellules cancéreuses, cette migration étant responsable de leur agressivité et du développement de métastases.

De même, dans le cancer du sein, de faibles concentrations de cet oméga-3 EPA mais également d’un autre oméga-3 surnommé DHA (pour acide docosahexaénoïque) sont associés à des situations cliniques plus agressives comme le cancer du sein multifocal (qui correspond à la présence de plusieurs tumeurs dans un même sein), le cancer du sein inflammatoire ou le cancer du sein avec des métastases osseuses chez les femmes préménopausées.

Dans le cas de leucémies, nous avons également démontré que les oméga-3 DHA et EPA exercent une activité anti-leucémique. Cela a abouti à un protocole clinique sur plusieurs centres de recherche qui montre que ces acides gras peuvent être administrés en toute sécurité aux patients nouvellement diagnostiqués avec une leucémie à haut risque, sans compromettre la chimiothérapie.

Par ailleurs, des travaux chez l’animal, qui demandent à être confirmés chez l’Homme, suggèrent que les oméga-3 pourraient retarder aussi la dénutrition induite par le cancer.

Dans les trois types de cancers évoqués, la présence des oméga-3 EPA et DHA est associée à des cancers moins agressifs car ces lipides exerceraient une action antitumorale.

Demain, une supplémentation en oméga-3 en complément des traitements ?

L’impact de ces oméga-3 reste à explorer au niveau moléculaire. Mais cela suggère tout l’intérêt d’une supplémentation nutritionnelle pour la prévention des cancers. C’est dans ce cadre que notre équipe a montré qu’une supplémentation alimentaire en oméga-3 DHA au cours d’une chimiothérapie augmente la survie de personnes atteintes d’un cancer du sein métastasé.

Nous avons également identifié des catégories de lipides produits par l’organisme (les éther-lipides alkyl-lipides et alkènyl-lipides ou plasmalogènes) pour lesquels il est généralement admis qu’ils sont retrouvés en plus grande quantité dans les tumeurs que dans les tissus non tumoraux. Ces lipides sont contenus dans les membranes des cellules, à côté du canal SK3, dont nous avons déjà parlé, qui joue un rôle dans la migration des cellules cancéreuses.

Nous avons récemment décrit pour la première fois avec précision le rôle de ces deux classes de lipides endogènes. Les alkényl-lipides limitent l’agressivité de cellules cancéreuses (en bloquant l’activité du canal SK3) alors que les alkyl-lipides exerceraient une action contraire (en activant le canal SK3).

Ces travaux donnent donc des pistes pour lutter contre la progression des cellules cancéreuses qui contiennent ces deux classes de lipides endogènes en plus grandes quantités que dans les tissus sains.

Il s’agirait de favoriser la catégorie de lipides (les alkényl-lipides) qui limite l’agressivité des cellules cancéreuses. Ces lipides, présents dans les produits de la mer, pourraient à terme être produits synthétiquement pour s’intégrer dans la composition de médicaments curatifs.

Des éther-lipides de synthèse comme l’Ohmline ont également montré leur intérêt thérapeutique. En effet, les modalités d’action de ce lipide qui vient d’être commercialisé par la société Lifesome Therapeutics permettent de réduire le développement des métastases et de modifier la réponse aux anticorps thérapeutiques (appelés aussi anticorps monoclonaux). Ce lipide de synthèse réduit l’activité du canal SK3 impliqué dans la migration des cellules cancéreuses.

Ce lipide a ainsi été proposé en adjuvant de chimiothérapies dans la prévention des neuropathies (il s’agit de douleurs localisées au niveau de certains nerfs) induites par certaines chimiothérapies.

Accroître le potentiel des produits de la mer contre le cancer

Ainsi, se trouve réalisé un continuum allant des modèles offerts par les produits marins jusqu’aux applications thérapeutiques dans les cancers.

Ces recherches qui font partie des recherches du réseau « Molécules marines, métabolisme et cancer du cancéropôle du Grand-Ouest » devraient augmenter le potentiel, déjà reconnu, des produits de la mer dans le domaine du cancer et permettre de les proposer en prévention ainsi que pour élaborer de nouvelles approches thérapeutiques.

Et nous disposons déjà de données très encourageantes dans la prévention de cancers par les différentes familles de lipides d’origines marines ou synthétiques qui peuvent être proposées comme agents de sensibilisation à la chimiothérapie, à la radiothérapie et aux anticorps thérapeutiques.


Cet article est le fruit de recherches menées par l’ensemble de l’équipe Niche Nutrition Cancer & métabolisme Oxydatif (N2COx) de l’Université de Tours.

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Christophe Vandier, Professeur de physiologie et directeur du laboratoire « Niche- Nutrition-Cancer et métabolisme énergétique » (N2Cox, INSERM, UMR 1069), Université de Tours; Aurélie Chantome, Ingénieure de recherche, Université de Tours; Caroline Goupille, Unité Inserm « Nutrition, Croissance et Cancer », Université de Tours; Emmanuel Gyan, Chef de service, hématologie et thérapie cellulaire , CHRU Tours, Université de Tours; Gaëlle Fromont-Hankard, Professeur, anatomie et cytologie pathologiques, Université de Tours; Karine Mahéo, Chercheuse, Université de Tours; Lobna Ouldamer, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, Université de Tours; Marie Potier-Cartereau, Maître de conférences en physiologie, UFR Sciences et Techniques, Université de Tours; Marion Papin, Étudiante en doctorat, Inserm UMR 1069, Nutrition, Croissance et Cancer, Université de Tours et Olivier Hérault, PU-PH / Chef du Service d'Hématologie Biologique du CHU de Tours, Université de Tours

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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