"Salope", "sale chienne" : les insultes entre jeunes filles ont plusieurs fonctions

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Avoir l'air adulte, éprouver le lien amical, mettre à distance le stigmate... Isabelle Clair, sociologue, décrypte les significations des insultes qu'utilisent les adolescentes.

Elles se qualifient elles-mêmes de "salopes", de "sales chiennes" ou en riant de "pétasses". "Une vraie putain", disent-elles d'une autre n'appartenant pas à leur groupe.

Dans un article publié dans la revue "Terrains & travaux", intitulé "S'insulter entre filles", la sociologue Isabelle Clair montre que ces mots à caractère sexuel, couramment utilisés par les adolescentes, ne sont pas anodins mais revêtent plusieurs fonctions.

La chargée de recherche au CNRS travaille depuis un peu plus de dix ans sur l'entrée dans la vie amoureuse et la sexualité des jeunes, sur trois terrains d'enquête différents (les cités d'habitat social, en milieu rural, et maintenant dans la bourgeoisie de l'ouest parisien).

Son article sur les insultes en découle : entre 2008 et 2011, elle a rencontré pour ce faire des jeunes filles entre 15 et 20 ans, issues des classes populaires, dans des villages du centre de la France.

Le décryptage de leur langage raconte les rapports et les hiérarchies entre filles de cet âge, le regard qu'on porte sur elles ou encore la difficile entrée dans l'âge adulte. Entretien.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce sujet ?

Les insultes, les mots qui circulent énormément à ces âges-là, m'ont intéressée parce qu'elles révèlent ce contre quoi chacun doit se distinguer. Il y a la figure du "pédé" chez les garçons, avec la crainte d'être identifié comme un garçon qui n'est pas à la hauteur de son sexe ; et il y a la "pute" du côté des filles.

Les insultes entre adolescentes, ça semble anodin et ça a l’air de n’être que des mots, pourtant ça dit à mon avis quelque chose d'important dans ce que c'est de faire l'expérience, à cet âge-là, du passage de fille à femme et de ce qui se joue sur la suspicion de l’immoralité sexuelle, du manque de vertu. 

C'est troublant de voir que ces jeunes filles utilisent entre elles les mêmes mots qui par ailleurs sont utilisés pour les viser : elles peuvent entendre ces insultes dans la rue, au lycée, dans la bouche de garçons essentiellement, voire de leurs parents ("Ma mère me dit : 'Oui, tu t’habilles comme une pétasse, tu fais ta pétasse'").

Oui. C'est une façon de se réapproprier le langage de l'autre qui domine (le garçon, le parent).

Une conséquence de la domination, c’est se penser à travers les catégories du dominant. En substance, parce que je suis pensée comme une pute, je me pense moi-même ainsi.

Bourdieu disait "ils sont parlés plus qu’ils ne parlent". Il y a une sorte de ventriloquie : les dominés reprennent les catégories des personnes qui les dévalorisent pour parler d’elles-mêmes. C'est vrai, ça se manifeste, mais en même temps, les insultes, ce n'est pas que ça. Ce n’est pas que de l’intériorisation de violence.

Ce qui m’intéressait justement, c’était de décortiquer un même mot à l’aune de plusieurs significations... qui ne sont pas sans lien les unes des autres....

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