Plantes médicinales : de la Grèce antique à aujourd’hui

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Plantes médicinales : de la Grèce antique à aujourd’hui

Efstathia Karachaliou, Université Bourgogne Europe

Pavot, millepertuis, safran et autres plantes médicinales utilisées depuis la Grèce antique sont étudiées par l’ethnopharmacologie, une discipline au croisement de la botanique, de la chimie, de l’anthropologie et de la médecine, pour inspirer les approches thérapeutiques de la médecine contemporaine.


Depuis des millénaires, les plantes jouent un rôle essentiel dans la prévention et le traitement des maladies. Ce lien entre nature et santé, déjà présent dans l’Antiquité, connaît aujourd’hui un renouveau. De nos jours, le marché mondial des plantes médicinales est en plein essor, reflet de l’intérêt croissant des consommateurs pour des produits naturels et un mode de vie plus sain.

Pourtant, cette tendance n’est pas nouvelle. Dans le Corpus Hippocraticum (entre le Ve et le IIe siècles avant notre ère), près de 380 plantes sont déjà mentionnées pour leurs vertus médicinales.

L’ethnopharmacologie : une science au croisement des cultures

L’ethnopharmacologie est la discipline qui étudie les plantes médicinales utilisées par les différentes cultures à travers le monde. Elle repose sur l’observation des savoirs traditionnels et l’analyse scientifique des plantes bioactives.

En croisant botanique, chimie, anthropologie et médecine, elle permet d’évaluer l’efficacité de remèdes anciens, de mieux comprendre les usages populaires et, parfois, de découvrir de nouveaux médicaments.


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Cette approche favorise un dialogue entre les pratiques ancestrales et les exigences contemporaines de la recherche. Elle permet aussi de valoriser des connaissances issues de cultures souvent marginalisées, tout en apportant des solutions concrètes aux enjeux de santé actuels.

La Grèce est un terrain d’étude privilégié

La Grèce constitue un excellent terrain pour l’étude de l’ethnopharmacologie. Son histoire géologique, ses conditions climatiques particulières ainsi que sa position géographique unique dans les Balkans du Sud et la Méditerranée orientale expliquent sa diversité floristique accrue (5 800 espèces et 1 893 sous-espèces).

Sa situation à la jonction de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique a favorisé une hétérogénéité environnementale et a permis le développement d’espèces spécifiques dans un espace restreint et isolé, d’où le taux élevé d’endémisme, c’est-à-dire d’espèces végétales que l’on ne trouve qu’en Grèce (22,2 % de toutes les espèces, avec 1 278 espèces et 452 sous-espèces).

Fresque représentant des cueilleuses de safran qui témoignent de la culture précoce de cette plante médicinale. Musée préhistorique de Thira, Fira, Santorin
Les cueilleuses de safran. Fresque d’Akrotiri (Xeste 3, salle 3, 1?? étage), XVII? siècle avant notre ère. Musée préhistorique de Thira, Fira, Santorin. CC BY

Le safran (Crocus sativus) est une illustration frappante des échanges commerciaux florissants entre les civilisations méditerranéennes anciennes et met en lumière la position stratégique des Grecs dans ces réseaux. Selon une publication récente, le safran a été domestiqué pour la première fois en Crète minoenne vers 1700 avant notre ère où il était non seulement prisé pour ses qualités médicinales, mais aussi comme produit de luxe dans les échanges commerciaux.

Des liens culturels étroits sont également attestés avec l’Égypte antique, preuve de la valeur médicinale et symbolique accordée à cette plante dans le monde méditerranéen ancien.

L’exemple emblématique du pavot somnifère

Parmi les exemples les plus emblématiques de la continuité entre médecine ancienne et moderne, le pavot somnifère (Papaver somniferum) occupe une place centrale. Connu dès 4000 ans avant notre ère, en Mésopotamie, il était surnommé par les Sumériens « plante de la joie », en raison de ses puissants effets euphoriques et analgésiques.

Introduit très tôt dans le bassin méditerranéen, son usage s’est diffusé en Égypte puis en Grèce où il devient un remède prisé. On retrouve sa mention chez Homère, dans l’Odyssée, sous la dénomination de « népenthès », une drogue censée apaiser toute douleur et tristesse.

Dessin de Pavot somnifère
Pavot somnifère ou Papaver somniferum L. « Atlas des plantes de France », 1891., CC BY

Dans la Grèce classique, Hippocrate, considéré comme le père de la médecine, le recommandait pour soulager les douleurs internes et les insomnies, et comme sédatif. Dioscoride, médecin et pharmacologue du Ie siècle, décrit précisément ses préparations, allant du simple suc séché (opium) aux onguents combinés.

Le pavot faisait partie intégrante du pharmakon grec (????????), à la fois remède et poison selon les dosages, illustrant la subtilité du savoir médical antique. Il a aussi été lié à Morphée, dieu du sommeil, ainsi qu’à l’amour éternel et à la loyauté, comme dans la tradition chinoise et dans la poésie persane.

Bénéfices et risques du pavot et de ses dérivés

Ce parcours millénaire témoigne non seulement de la continuité entre traditions médicinales et pharmacopée moderne, mais aussi de l’intérêt de revisiter l’histoire des plantes pour éclairer la médecine contemporaine et inspirer de nouvelles approches thérapeutiques.

Le pavot somnifère est une plante potentiellement toxique. Mais elle possède également des propriétés thérapeutiques et pharmacologiques utilisées depuis l’époque minoenne, principalement en raison de son principe actif, l’opium, et de ses dérivés. Les parties de la plante qui sont utilisées sont les capsules, les graines, les feuilles, les fleurs. L’opium correspond au liquide laiteux extrait par incision sur le fruit immature.

Aujourd’hui, ses dérivés, comme la morphine et la codéine restent des piliers dans le traitement de la douleur aiguë ou chronique. Mais leurs prescriptions sont extrêmement encadrées. Ainsi, au niveau européen, des mesures de minimisation des risques des médicaments contenant de la codéine pour soulager la douleur chez les enfants ont été approuvées, suite à des préoccupations de sécurité.

Récemment, en France, l’encadrement des prescriptions de codéine a été renforcé pour réduire les risques de mésusage, de dépendance, d’abus et de surdosage.

Pavot somnifère (Papaver somniferum Cascall) de nos jours, à Majorque dans les îles Baléares. CC BY

Il convient de bien distinguer le pavot utilisé pour l’opium, qui est le Papaver somniferum (pavot somnifère), du pavot commun en Grèce, ajouté dans les pâtisseries, dont la dénomination est Papaver rhoeas. Ce sont les graines de pavot présentes à l’intérieur de la capsule que l’on retrouve sur des petits pains et dans divers gâteaux, comme le strudel au pavot d’Europe centrale (mohnstrudel) ou le cheesecake allemand au pavot.

En Grèce, il est courant de saupoudrer les graines de pavot sur le pain. De l’huile comestible de pavot est aussi produite à partir des graines, possédant de nombreuses propriétés thérapeutiques. En Grèce, l’huile de pavot est également utilisée dans la fabrication de produits cosmétiques et même en peinture, car elle n’altère pas les couleurs.

Des marchés traditionnels aux laboratoires contemporains

De nombreuses plantes médicinales décrites dans l’Antiquité sont toujours présentes sur les marchés locaux et utilisées selon des savoirs traditionnels. Il s’agit majoritairement de feuilles séchées ou de parties aériennes, parfois non distinguées, employées en infusions ou en décoctions, ou les deux. Ces plantes sont principalement recommandées pour traiter les troubles gastro-intestinaux, respiratoires et cutanés.

Les espèces les plus fréquemment rencontrées sont des plantes aromatiques à huiles essentielles reconnues pour leurs propriétés antimicrobiennes, comme l’origan (Origanum), le thé de montagne (Sideritis), le millepertuis (Hypericum), le thym (Thymus) et la sauge (Salvia).

(L’Agence du médicament rappelle les précautions qui s’imposent quand on a recours à des huiles essentielles dont les substances actives « peuvent induire un risque d’effets indésirables graves consécutifs à une utilisation non adaptée et non contrôlée », ndlr).

(L’Agence du médicament met aussi en garde contre certains effets liés à la consommation – ou à l’arrêt brutal de la consommation – de millepertuis concomitante avec la prise de certains traitements. Les personnes concernées doivent se rapprocher de leur médecin traitant et de leur pharmacien, ndlr).

Convergence entre savoirs empiriques et validation scientifique

Le plus souvent, ces usages traditionnels s’accordent avec les monographies de l’Agence européenne des médicaments (EMA), ce qui illustre la convergence entre savoirs empiriques et validation scientifique.

Les monographies de l’EMA évaluent l’efficacité et la sécurité des plantes médicinales sur la base de preuves scientifiques et d’usages traditionnels. Si une plante y figure, elle est validée pour des usages thérapeutiques spécifiques.

Cependant, toutes les plantes traditionnelles ne sont pas incluses, souvent en raison de preuves insuffisantes ou de risques non confirmés. Lorsque les usages traditionnels ne sont pas conformes aux monographies, la plante ne peut pas être commercialisée comme médicament et des sanctions peuvent être appliquées pour des allégations non validées.

Prescription et vente par les professionnels de santé

En France, les plantes médicinales peuvent être prescrites par des médecins et délivrées par des pharmaciens, sous différentes formes comme des extraits ou des tisanes. Elles présentent des risques potentiels, notamment des interactions médicamenteuses et des effets secondaires.

Seules les pharmacies peuvent les vendre, même si la formation des pharmaciens sur les médicaments n’inclut pas toujours les plantes médicinales. Les herboristes n’ont pas de statut officiel pour prescrire ou vendre ces plantes, ce qui pose des risques de sécurité, tandis que les phytothérapeutes peuvent conseiller leur usage, mais en collaboration avec des professionnels de santé.

Efstathia Karachaliou, Pharmacienne, Doctorante en pharmacognosie, Université Bourgogne Europe

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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