« Le simple fait d’éteindre son portable donne déjà un sentiment de liberté »

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Matthew B. Crawford a tout plaqué pour partir réparer des motos. Il en tire une philosophie de vie qui pourrait nous réconcilier avec le monde numérique.

Qui doute que nos cerveaux sont bousillés ? Si l’on est poli, on parle de « crise de l’attention ». Si l’on est en verve, de notre cerveau de « poisson rouge » et de ses trois secondes de concentration. Le malaise dégorge ici ou là : vacuité, burn-out, fatigue.

Des types parlent de se tirer élever des lamas. Faire souffleur de verre. Ou, plus prosaïquement, reprendre une ferme biodynamique. « Toucher de la matière quoi. » Souvent, ça s’arrête au rêve du vague « retour à l’authentique ». Parfois, ça va plus loin. Il y a des rescapés.

Matthew B. Crawford s’affiche comme tel. Après avoir commencé à bosser dans un think-tank américain, il est revenu à ses envies de jeunesse : mécanicien moto.

Dans son premier livre, « Eloge du carburateur », il décrivait ce plaisir « intellectuel » qu’il y a dans l’exercice d’un métier « manuel » souvent plus enrichissant que de remplir des tableaux Excel.

Mais le bougre ne s’arrête pas là. Il tire de son expérience une philosophie plus large. Son nouveau livre – « Contact : pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver » (La Découverte) – sort le 25 février 2016. On lui a demandé de nous aider à sortir de là.

Rue89 : Vous dites ressentir un malaise profond envers notre époque. Comment décririez-vous ce sentiment  ?

Matthew B. Crawford : Une sorte de « fragmentation » de notre activité mentale. L’impression de ne plus être en mesure de contrôler notre attention, notre présence au monde. Et pour cause... Tout est fait pour attirer notre attention afin d’en tirer un bénéfice commercial.

Par exemple  ?

Je payais mes courses à une caisse automatique lorsque je me suis aperçu que des publicités s’affichaient sur chaque écran « d’attente » entre l’introduction de ma carte, la confirmation de mes achats, la saisie de mon code, etc. Peut-être même que la durée de ces intervalles était artificielle. C’est là que je me suis rendu compte que la nouvelle ligne de front du capitalisme était tenue par de supposés « innovateurs » prêts à monétiser chaque petit morceau de notre espace mental.

Je pense que nous sommes en train de réaliser que notre attention est une ressource précieuse et limitée, mais nous ne réussissons pas encore à la défendre.

Sauf les riches qui se réfugient dans des salons privés où règne le silence visuel et auditif...

Eh oui, l’attention est devenue un produit de luxe. Nous devons maintenant payer pour la récupérer. Mais ce déluge de publicités n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il faut aussi prendre en compte toutes ces choses qui semblent assouvir nos appétits et que nous faisons entrer dans notre intimité sans se les approprier, sans y résister  : les jeux vidéo, la pornographie, etc. De plus en plus, ces expériences semblent s’intercaler entre nous et la réalité. Notre rapport au monde et aux personnes qui nous entourent s’en ressent.

Un très bon exemple que vous prenez pour décrire cet éloignement du monde est celui des voitures, bardées d’électronique...

Les constructeurs semblent vouloir nous isoler de la route. Si bien que lorsque vous êtes au volant, vous avez l’impression que le décor est un écran qui défile. Quand la conduite devient une expérience si lointaine, si abstraite, la route devient une simple information en compétition avec votre portable ou vos e-mails.

C’est pour cela que je préfère des voitures dépouillées de tout ce supposé confort. Avec cette relation directe, intime avec la route. Sur une moto, vous avez ce sentiment. La bécane devient une extension de votre propre corps....

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