Connu pour être l'un des principaux pays producteur de haschich, où sa culture est pourtant illégale, le Liban s'apprête à revoir sa législation pour se lancer dans la course au cannabis thérapeutique, afin de relancer son économie.
Le président du Parlement libanais Nabih Berri a annoncé, le 18 juillet, que le Liban s'apprêtait à revoir sa législation pour autoriser la culture du cannabis à des fins thérapeutiques, et ce dans le but de booster une économie au ralenti depuis plusieurs années.
Au pays du Cèdre, décrit comme le 4e producteur mondial de haschich par l’Onu en 2017, cette culture est officiellement interdite, passible de peines de prison et d’amendes. Pourtant la production de cannabis y est largement répandue, à ciel ouvert, au vu et au su des autorités locales.
Une manne financière pour lutter contre la crise économique
L’annonce du président du Parlement fait suite à la proposition faite, dans un rapport, par le cabinet de conseil international McKinsey & Cie, chargé par le Liban de préparer un plan de relance économique pour le pays. Le rapport préconise notamment "l'instauration de régions pour la culture du cannabis à des fins médicales dans un cadre légal".
L’autorisation d’une telle culture pourrait rapporter plus de 500 millions de dollars par an selon le ministère de l’Économie, contacté par France 24. En mettant en place un mécanisme de contrôle, en instaurant une taxation de la production, le Liban, qui affiche une dette publique de 150 % du PIB, espère profiter du boom du cannabis thérapeutique en Amérique du Nord. Selon une étude du cabinet Arc View Market Research, le cannabis légal a engendré aux États-Unis un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, 30 % de plus qu’en 2015, et pourrait rapporter 21,6 milliards de dollars d’ici 2021.
Interrogé par le quotidien arabophone Al Nahar, le ministre du Travail Mohamed Kabbara a déclaré que "l’autorisation de la culture du cannabis à des fins médicales est profitable pour la société et génèrera des revenus. Tant qu'il n'y a pas de mal, il n’y a pas de problème, et pour cela, l'agriculture doit être strictement limitée à des fins médicales".
En 2014, le leader druze et ancien seigneur de guerre Walid Joumblatt, plusieurs fois élu député et plusieurs fois ministre, avait appelé à autoriser la culture du cannabis, notamment via son compte Twitter. "Il est temps d'autoriser la culture du haschich et d'annuler les mandats d'arrêt contre les personnes recherchées dans ce domaine", avait-il écrit.
Des Ottomans aux milices armées
La culture du haschich, essentiellement concentrée dans la plaine aussi fertile que déshéritée de la Bekaa, qui s’étend du nord au sud sur 120 kilomètres dans l’est du pays, remonte à plusieurs siècles.
Au cours de la guerre du Liban (1975-1990), le haschich représentait une manne financière vitale pour les milices actives pendant le conflit, toutes confessions confondues. Au milieu des années 1980, les agences de renseignement occidentaux estimaient la production au Liban, devenu un des principaux centre de narcotrafic dans le monde, à plus de 1814 tonnes par an. Ce qui à l’époque, garantissait, en y ajoutant la production d’héroïne et de cocaïne, près de 4 milliards de dollars de profit annuel aux barons locaux de la drogue.
Tout au long de l’occupation syrienne du Liban (1976-2005), pendant laquelle une bonne partie des troupes de Damas étaient stationnées dans la plaine de la Bekaa, la culture et le trafic de haschich a franchi une étape supplémentaire. Dans une biographie de l’ancien président syrien Hafez al-Assad, le père et le prédécesseur de Bachar al-Assad, l’écrivain britannique Patrick Seale écrivait : "À partir de 1976, lorsque l’armée syrienne a pénétré au Liban, contrôlant les routes du trafic et mêmes des ports comme celui de Tripoli (…), le trafic était devenu presque institutionnalisé, avec l’armée syrienne elle-même impliquée dans le processus. Pour les militaires, des généraux aux sergents, un poste au Liban était une chance de faire fortune".
À partirdes années 2000, les différents gouvernements libanais ont lancé des opérations destinées à éradiquer la culture du haschich et du pavot, qui font vivre des familles entières. Celles-ci n’ont de cesse d'en réclamer la légalisation. Maisincapable de garantir un projet de développement alternatif global pour la région, ou de garantir une compensation pour la perte de revenus des planteurs, qui vendent leurs récoltes aux trafiquants locaux, Beyrouth n’a jamais pu faire cesser la production.
Au début des années 2010, deux hectares pouvaient rapporter plusieurs dizaines de milliers de dollars par an. Il y a quelques années, un trafiquant connu, qui ne se cache pas d’avoir fait fortune grâce au cannabis, avait mis publiquement au défi les autorités : "Si vous légalisez la marijuana pendant six mois, je paierai toutes les dettes du gouvernement ", avait-il déclaré.
Escarmouches et lance-roquettes
Les opérations de destruction de culture, menées chaque année sur quelques milliers d'hectares, ont parfois mené à des escarmouches armées avec plusieurs clans chiites, qui en contrôlent la production. En 2012, des bulldozers de l’armée libanaise, chargés de faucher des plants dans la Bekaa ont été attaqué au lance-roquettes.
En 2016, les Forces de sécurité intérieure (FSI, équivalent de la gendarmerie) ont saisi 7,5 tonnes de cannabis et arrêté plus de 540 personnes impliquées dans le trafic de drogue. Selon elles, près de 50 % de la production de cannabis est destinée au marché local, le reste à l'exportation vers l'Europe, et cela notamment à travers l'Égypte et la Libye.
À plusieurs reprises, ces dernières années, l’administration américaine a accusé le Hezbollah chiite de tirer un profit financier de la culture du haschich dans la Bekaa, l’une de ses principales zones d’influence.
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