Famille royale, showbiz et paparazzi : les tabloïds, une histoire 100 % british

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La presse à sensation fait toujours recette en Grande-Bretagne.

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Famille royale, showbiz et paparazzi : les tabloïds, une histoire 100 % british

La presse à sensation fait toujours recette en Grande-Bretagne.
Gwyn Jones, Université Bretagne Sud

Le documentaire Harry & Meghan – sorti en décembre 2022 sur Netflix – dans lequel le couple détaille les raisons de son conflit avec le reste de la famille royale met en cause les médias britanniques et en particulier les tabloïds, taxés de harcèlement, et jugés en grande partie responsables du « Megxit ». Mais à quand remonte l’apparition de ces journaux à sensation, quel est leur mode de fonctionnement, et pourquoi rencontrent-ils un tel succès outre-Manche ?

Les débuts de la presse britannique furent chaotiques, mais grâce aux progrès techniques, économiques et sociétaux, elle allait devenir une industrie puissante et influente, à tel point qu’on la surnomme le « quatrième pouvoir », allusion à sa place de contrepouvoir face à l’exécutif, au législatif et au judiciaire.

Un peu d’histoire…

Les premiers journaux paraissent en Écosse, en Angleterre et en Irlande avant la fin du XVIIe siècle : le Mercurius Caledonius à Édimbourg en 1660, puis la London Gazette en 1665, et en 1685, la News Letter à Dublin. En 1691, grâce aux progrès technologiques, l’Angleterre met en place un système postal national, ce qui facilite la publication quotidienne de certains titres.

Cependant, pour contrer le développement de la presse, le parlement britannique vote la loi Stamp Act en 1721. Cette taxation sur les journaux et autres publications, qui est une forme de censure imposée par l’état, est finalement abrogée en 1855.

Les innovations technologiques de l’imprimerie permettent alors la croissance rapide de la presse britannique, qui devient une industrie à part entière à la fin du dix-neuvième siècle et s’installe dans la vie quotidienne des Britanniques. En 1896, la première édition du Daily Mail paraît à Londres : c’est le premier journal du type « tabloïd, » un format qui allait littéralement bouleverser la place des journaux auprès des lecteurs ainsi que les attentes de ceux-ci.

On aurait pu croire que la révolution numérique sonnerait le glas de la presse britannique classique ; mais malgré la baisse considérable des tirages, les journaux britanniques arrivent à tirer leur épingle du jeu.

Cependant, le départ des Sussex du Royaume-Uni pour s’installer en Californie, en 2020, a mis en lumière de nombreuses pratiques peu éthiques de la part de certains journalistes.

Les tabloïds en tête des ventes

Pour mieux comprendre la presse britannique et ses lecteurs, il est important de connaître comment elle s’organise. La presse britannique peut être divisée en deux catégories distinctes : d’une part les « broadsheets » (littéralement les feuillets larges), et d’autre part les tabloïds, de taille plus petite, avec beaucoup de photos, et donc plus faciles à manier et à lire.

Si les « broadsheets » proposent généralement des articles de qualité et une analyse approfondie de l’actualité (comme dans The Guardian, par exemple), c’est tout autre chose pour les tabloïds, avec un journalisme axé sur le sensationnalisme et la médiocrité, et qui suscite de très vives critiques de la part des « victimes » de la classe politique, la famille royale et d’autres personnalités du showbiz. Avec son surnom de « the gutter presse » (la presse du caniveau) les tabloïds défraient régulièrement la chronique, et ce depuis de très longtemps…

Au niveau des tirages, parmi les titres nationaux ce sont les tabloïds qui arrivent largement en tête des ventes. The Sun, journal fondé en 1964, reste le titre le plus vendu du pays, frôlant les quelques 1,2 million d’exemplaires quotidiennement. C’est le sensationnalisme qui fait vendre, avec une intrusion à outrance dans la vie privée de bon nombre de personnalités de la société britannique, dont la cible préférée des paparazzis, la famille royale. Les pratiques peu éthiques, et certains diraient franchement sordides, de ces derniers ont provoqué un tollé suite à la disparition de la Princesse de Galles, Diana, dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris le 31 août 1997. Les circonstances de l’accident ont déclenché une prise de conscience collective chez les Britanniques, comprenant les conséquences potentielles de la course au scoop.

Un droit de regard sur la famille royale

Dix ans après la disparition tragique de la « people’s princess », Tony Blair, premier ministre à l’époque, lançait un pavé dans la mare en dénonçant une tendance préoccupante au « sensationnalisme » de la part des médias britanniques. Il déplorait que

« les médias chassent de plus en plus en meute, comme des bêtes féroces qui mettent en pièces les gens et leur réputation ».

Malgré de nombreuses plaintes déposées auprès des tribunaux britanniques (on peut citer les actions juridiques entamées récemment par le Duc et la Duchesse de Sussex contre les propos racistes publiés dans les tabloïds, ces derniers continuent à mener la vie dure des personnalités sans réfléchir à l’impact psychologique des articles pondus pour… booster les ventes.

Il est légitime à se demander pourquoi les Britanniques ont un appétit aussi féroce pour les tabloïds et le sensationnalisme à outrance, un phénomène qu’on ne trouve pas ailleurs, en tous cas pas à cette échelle. Pourquoi certains éditorialistes s’acharnent à dévoiler la vie privée, par exemple, de la famille royale et de certains membres de celle-ci ? La Society of Editors, organisme qui regroupe 400 membres de médias britanniques, a réfuté catégoriquement toute accusation de racisme de la part de Prince Harry et sa femme. Ces derniers affirment que la presse britannique est, en grande partie, responsable de leur départ « precipité ».

Selon la Society of Editors, les Britanniques ont un droit de regard sur la vie des « riches », y compris la famille royale. La question épineuse du coût de la monarchie et de l’existence même de l’institution est une constante source de débat d’outre-Manche. Si le contribuable britannique finance une partie de cette institution, est-il en droit de connaître la vie privée de certains de ses membres ? Pour la Society of Editors, la réponse est claire : oui. La monarchie, financée par l’argent public, doit rendre des comptes. Quant aux Sussex et à leur refus de respecter certaines conventions de la famille Windsor (la célèbre maxime « ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer »), avec notamment la diffusion sur Netflix de la série Harry & Meghan, il a peut-être renforcé cette frénésie de sensationnalisme.

On pourrait se demander si la mise en place de la Independent Press Standards Organisation( IPSO) en 2014, qui a fait suite au scandale du piratage téléphonique par News International (dont le propriétaire est Rupert Murdoch) a changé la donne. Mais à en croire les vives critiques à l’encontre de cet organisme, censé gérer les plaintes logées contre la presse, il semblerait qu’il reste encore un long chemin à faire.

Le Prince Harry, dans sa biographie, parue en janvier 2023, Le Suppléant,résume en quelques mots son ressenti concernant l’évolution de la presse à sensation :

« Tout le monde à l’époque [du décès de sa mère, NDLR] s’accordait à dire que la presse était une meute de monstres ; même ceux qui lisaient acceptaient leur part de responsabilité. Nous devions tous nous comporter mieux que ça, disaient la plupart des gens. Aujourd’hui, tant d’années plus tard, tout était oublié. L’histoire se répétait jour après jour… »

Gwyn Jones, Etudes de civilisations britanniques, Université Bretagne Sud

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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