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Déserts médicaux et dépassements d’honoraires, qu’attendre de la nouvelle Assemblée nationale ?
Philippe Batifoulier, Université Sorbonne Paris Nord et Nader Nefzi, Université Sorbonne Paris NordLa pénurie de médecins généralistes comme les tarifs élevés pratiqués par bon nombre de spécialistes creusent les fractures territoriales dans l'accès au soin. On passe en revue les mesures qui pourraient être mises en œuvre par la prochaine Assemblée nationale.
Longtemps, la santé a été un véritable désert politique. Mais aujourd’hui en France, le système de santé prend l’eau de toutes parts. Personne ne peut plus ignorer le marasme hospitalier et la souffrance des soignants qui rejaillissent sur la qualité des soins.
En 2024, à l’heure des élections, la question de l’accès aux soins figurait en bonne place dans les programmes politiques. La façon dont ils entendent répondre aux difficultés des Français dans ce domaine ne peut pas être réduite à un catalogue de mesures techniques. La santé a le pouvoir de relier entre elles toutes les grandes questions de société. C’est donc du vivre ensemble dont il question derrière les problématiques de santé.
« 87 % du territoire français est un désert médical »
Il n’est pas possible en quelques lignes de brosser un panorama complet de la manière dont les programmes politiques abordent la question de l’accès aux soins. Nous nous focaliserons sur la fracture sanitaire qui combine les inégalités d’accès territorial aux soins et le développement des dépassements d’honoraires.
L’une des inégalités les plus marquantes dans ce domaine est la disparité territoriale, popularisée par le terme « désert médical ». Le gouvernement a reconnu en 2023 que « 87 % du territoire français est un désert médical ».
Les déserts médicaux concernent les campagnes, mais aussi certaines banlieues. Selon les données de l’Insee de 2023, la densité de médecins généralistes (nombre de médecins pour 100 000 habitants) est plus faible en Seine-Saint-Denis (densité de 99) ou en Seine-et-Marne (89) qu’en Lozère (135) ou en Creuse (128). Pour les médecins spécialistes, les inégalités sont encore plus criantes : l’Eure et l’Ain (densité de 75) ont 9 fois moins de professionnels que Paris intra-muros (554).
Carte de la densité de médecins généralistes dans les départements français au 1?? janvier 2023
Plus de 2 mois d’attente pour un cardiologue, plus de 3 mois pour un dermatologue
Ce qui explique que les temps d’obtention de RDV ont pratiquement doublé en cinq ans pour la plupart des spécialités. Actuellement, il faut patienter plus de 2 mois pour consulter un cardiologue, plus de 3 mois pour un dermatologue. Les habitants des milieux ruraux très peu denses consomment 16 % de soins hospitaliers en moins que la moyenne nationale.
La différence est plus marquée entre le milieu urbain dense et le rural isolé. Selon l’Association des maires ruraux de France, dans le rural isolé, on relève :
une consommation 20 % inférieure en soins hospitaliers
jusqu’à 30 % de séances en moins de dialyses ou de chimiothérapies en centres
12 % de courts séjours hospitaliers en moins
La rareté des médecins dans les territoires ruraux se conjugue avec l’éloignement des centres hospitaliers régionaux.
Les déserts médicaux sont des déserts globaux. Souvent, il n’y a plus de médecins à proximité quand la gare ou la Poste ont fermé et l’école est menacée. La pénurie de médecins se conjugue avec la pénurie de services publics.
La liberté d’installation des médecins et le numerus clausus : les causes de la pénurie
Le numerus clausus, l’ancien dispositif de sélection des étudiants en médecine admis en deuxième année, est pour une part responsable de cette situation dramatique. Rappelons que ce numerus clausus a été demandé par certains syndicats de médecins qui étaient inquiets de la démocratisation des études médicales après mai 1968. Et pour les gouvernements, moins de médecins, c’est moins de dépenses de santé.
Ainsi, en 1972, environ 8500 étudiants en médecine étaient admis en deuxième année, un chiffre divisé par deux au milieu des années 1990 (autour de 4000) pour ensuite augmenter progressivement. En 2021 quand le numerus clausus a été supprimé, on a retrouvé un niveau de 9000 étudiants.
Mais la cause essentielle des déserts médicaux est la liberté d’installation accordée aux médecins. Le médecin français s’installe où il veut après ses études et il s’installe là où sont déjà les autres, c’est-à-dire là où il a fait ses études (longues) et commencé à construire sa vie.
De plus, les déserts médicaux risquent de s’intensifier car les nouveaux médecins (et de plus en plus de femmes) ne veulent plus multiplier les heures de travail au-delà de ce qui est raisonnable.
Faut-il réguler davantage l’installation des médecins, comme préconisé par le NFP ?
Pour endiguer cette pénurie de médecins :
- Le programme du Nouveau Front populaire (NFP) propose de « réguler l’installation des médecins dans les déserts médicaux » et de « rétablir des permanences de soin des soignants libéraux dans les centres de santé ».
Ces mesures visent à promouvoir un service public de la santé avec des médecins qui s’installent là où on a besoin d’eux. À noter que, en 2013, le Sénat proposait déjà de subordonner le conventionnement des médecins avec la Sécurité sociale à l’installation dans une zone sous-dotée.
Le médecin reste libre de s’installer là où il veut mais ses patients ne seraient remboursés par la Sécurité sociale que si le praticien s’installe là où on a besoin de lui. Ce conventionnement sélectif est demandé par le nouveau Front populaire avec obligation temporaire d’installation. Il existe déjà pour d’autres professions de santé mais pas pour les médecins libéraux.
- Les programmes politiques de « Ensemble » et du Rassemblement national (RN) consistent à poursuivre la stratégie de l’incitation financière mise en place depuis plusieurs années. Il s’agit de dédommager le médecin qui accepte de s’installer dans une zone sous-dotée. Là encore, rien de nouveau.
Par le passé, se sont succédé entre autres mesures le financement des études par une allocation de 1 200 euros mensuels puis, depuis 2017, une aide de 50 000 euros versée en deux fois ou bien un forfait allant jusqu’à 50 000 euros annuel pour un exercice ponctuel dans une zone sous-dense et enfin l’annonce en 2023 du versement d’un revenu minimum garanti de 4600 euros par mois pendant deux ans.
Selon l’Assurance maladie, ces mesures sont très coûteuses, de l’ordre de 94 millions d’euros sur la période de 2017 à 2020 pour une efficacité très limitée.
Quelle efficacité des propositions du RN autour du cumul emploi-retraite des soignants ?
Par ailleurs, le programme du RN propose également un nouvel étage d’incitations financières avec un « allègement des dispositifs de cumul emploi-retraite pour les médecins et les infirmiers » ainsi que la « suppression de l’impôt sur les revenus d’activité des médecins et des infirmiers retraités reprenant du service ».
Permettre aux médecins retraités de percevoir leur pension cumulée avec un revenu d’activité existe déjà et n’a pas bénéficié aux habitants des déserts médicaux. En effet, c’est à Paris que le cumul emploi-retraite est le plus fréquent et non dans les zones désertées, selon les données de la Drees.
Peut-on croire que la suppression de l’impôt sur le revenu des médecins retraités retirés à Nice ou Saint-Jean-de-Luz va les inciter à venir déménager en Creuse ou en Mayenne ? Seuls ceux qui sont déjà installés dans les départements sous-denses profiteront de cet effet d’aubaine.
Autre inégalité dans l’accès au soin : les tarifs des spécialistes
Trouver un médecin disponible est devenu difficile pour certains patients… encore plus quand ils doivent consulter un spécialiste aux tarifs de la Sécurité sociale. Cela s’explique par le développement des dépassements d’honoraires chez les spécialistes. En effet, les inégalités tarifaires représentent une autre barrière significative pour les Françaises et Français.
Même quand il est toujours possible d’être à moins de quinze minutes d’un médecin, cela ne signifie pas qu’il soit accessible financièrement. On peut à l’inverse avoir un RDV rapidement si on est prêt à payer. Les cabinets médicaux à but lucratif prospèrent sur les déserts médicaux et les problèmes d’accès aux soins. Ils fournissent des rendez-vous rapides pour des soins de premier recours, mais payants et uniquement sur Internet (ce qui exclut une partie de la population).
Plus de 6 ophtalmologues sur 10 pratiquent des dépassements d’honoraires
Les dépassements d’honoraires existent aussi bien en médecine de ville qu’en clinique privée, mais aussi à l’hôpital public. Selon les calculs de l’UFC établis à partir des données de l’Assurance maladie, en 2022 :
Plus de 6 ophtalmologues sur 10 pratiquaient des dépassements d’honoraires
7 patientes sur 10 ne pouvaient accéder à un gynécologue au tarif de la Sécurité sociale à moins de 45 minutes de chez elles.
Pour la moitié des enfants, il n’était pas possible d’accéder au pédiatre sans payer de dépassement d’honoraires
Les dépassements d’honoraires peuvent dissuader les patients les plus vulnérables financièrement de consulter. Cette situation contribue à creuser les inégalités d’accès aux soins, car les patients issus des milieux les plus modestes sont souvent ceux qui ont le plus besoin de services médicaux.
Selon une enquête menée en 2024 par Ipsos pour la Fédération hospitalière de France sur les Français et l’accès aux soins, dans les 5 dernières années, 63 % des Français ont déjà renoncé à au moins un acte de soin (analyses médicales, consultation chez un médecin, achat de médicaments…) parce que c’était trop cher. Les difficultés financières sont significatives et concernent plus de 4 Français sur 10.
Quid de la proposition d’Ensemble sur la mutuelle à 1 euro par jour ?
Quelles solutions proposent les différents blocs pour limiter les dépassements d’honoraires ?
Le programme politique de l’extrême droite ne dit rien sur ce problème fondamental.
Le Nouveau Front populaire veut « conditionner l’ouverture des cliniques privées à la participation à la permanence des soins et à la garantie d’un reste à charge zéro »
Dans son programme, Ensemble plaide pour « une offre de mutuelle publique à 1 € par jour » pour les Français qui ne disposent pas de mutuelles, pour les « retraités, étudiants, indépendants ou demandeurs d’emploi [qui] demeurent sans mutuelle ». Une proposition qui se révèle moins avantageuse que le système actuel pour les foyers modestes.
En effet, il existe un dispositif appelé la complémentaire santé solidaire. Elle est gratuite pour les foyers dont le revenu est inférieur à 847 euros par mois pour une personne seule (soit 10 166 euros par an).
Au-delà de ce seuil et jusqu’à 1 272 euros de revenu mensuel, il faut contribuer à la complémentaire santé solidaire. Mais elle ne coûte alors que 3 centimes d’euros par jour pour les moins de 30 ans et n’atteint que 1 euro par jour pour les plus de 70 ans.
La proposition d’Ensemble consisterait donc à faire payer davantage les foyers aux revenus modestes. Le véritable problème vient plutôt du non-recours à cette complémentaire santé solidaire par les personnes pourtant éligibles. Selon les chiffres de la Drees, ce non-recours est de 31 % pour la version gratuite, et de 67 % pour la version payante.
Il reste donc urgent de trouver des solutions pour abaisser le coût de la santé des Français. Dans l’enquête Ipsos 2024, 1 Français sur 3 déclare que les reports de soin ont eu des conséquences graves pour lui-même, et plus de 1 Français sur 2 rapporte des conséquences graves pour ses proches.
Philippe Batifoulier, Professeur d'économie / CEPN (UMR 7234 CNRS), Université Sorbonne Paris Nord et Nader Nefzi, Post-doctorant en économie / CEPN (UMR 7234 CNRS), Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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