« Depuis la crise de 2008, l’industrie mondiale a soufflé sur les braises déjà brûlantes des inégalités »

Economie

Depuis le Forum économique mondial de Davos de 2009, la fortune de ses participants a explosé, en dépit des discours de bonne volonté, faisant le lit de la crise sociale, explique Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

C’était il y a dix ans tout juste. Dans l’ambiance ouatée de la station alpine de Davos, au cœur de la Suisse, l’ambiance était morose. Le monde des affaires réuni en son forum annuel ne parlait que de la crise, survenue quatre mois plus tôt avec la faillite retentissante de la banque Lehman Brothers. Industriels et banquiers, au bord de la faillite, broyaient du noir en pensant à demain. Comme le rappelle opportunément l’agence Bloomberg, l’une des sessions s’intitulait : « Que peut faire l’industrie mondiale pour éviter un choc social ».

L’industrie mondiale n’a rien fait et le choc social est là. Ou plutôt, elle a soufflé sur les braises déjà brûlantes des inégalités. Selon Bloomberg, la fortune de la douzaine des plus riches participants américains au forum de 2009, qui dissertaient savamment sur les risques du monde, s’est accrue de 175 milliards de dollars (154 milliards d’euros), quand celle du salaire médian du travailleur américain a stagné. Et les colères sociales qui en sont résultées, sous la forme de l’élection de Trump aux Etats-Unis, du Brexit en Grande-Bretagne ou des « gilets jaunes » en France, n’ont manifestement pas atténué le phénomène. Ainsi, le salaire du premier banquier américain, Jamie Dimon, le patron de JP Morgan Chase, a dépassé les 30 millions de dollars en 2018, soit 5 % de plus que l’année précédente. Plus que la croissance du salaire de ses propres employés. Au total, la fortune de Dimon a été multipliée par six depuis ce fameux Davos de 2009.

Un sentiment d’abandon

Décidément, Carlos Ghosn aurait dû être banquier américain. Il aurait peut-être été moins tenté de jongler avec les filiales étrangères pour arrondir ses fins de mois. Il aurait pu tout aussi bien travailler chez Disney. Son PDG Bob Iger, réputé proche des démocrates, a reçu en 2018 un paquet financier de 65 millions de dollars dont la moitié en action. De quoi voir venir. Cette situation générale est le résultat de la croissance exceptionnelle de Wall Street ces dix dernières années et du redressement de l’économie américaine portée par une politique de taux très bas.

On a longtemps cru à Davos que le problème, ce n’était pas les riches, mais les pauvres. Et que si les milliardaires s’en occupaient, les malheurs du monde seraient résolus. Mais l’accroissement de l’écart entre la classe moyenne et la supérieure, la déqualification des emplois et le blocage de la mobilité sociale (et donc la reproduction endogène des élites) ont plongé une bonne part de la population des pays développés dans un sentiment d’abandon et de rancœur propice à toutes les aventures politiques. Les bons sentiments dispensés chaque année dans la petite station des Grisons sont restés lettre morte. Et aujourd’hui, les leaders politiques occupés à régler leurs crises internes ont déserté les Alpes laissant seuls ceux que le chanteur Bono du groupe U2 avait appelés les « fat cat in the snow ». Des gros chats dans la neige qui dissertent confortablement sur le bien de la planète mais ne font rien pour modifier des comportements dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences politiques.


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