Cette étudiante danoise a été emprisonnée pour s’être battue contre Daech en Syrie

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Joanna a abandonné sa vie d’étudiante au Danemark pour aller combattre Daech en Syrie, aux côtés des Kurdes du YPG. À son retour, la police l’attendait.

I.YPJ

L’État islamique assiégeait la ville de Kobané depuis plus d’un mois lorsque Joanna Palani a échangé ses premiers tirs avec les combattants djihadistes. La jeune femme danoise, alors âgée de 21 ans, était arrivée le 14 novembre 2014 à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. De là, elle avait fait le voyage jusqu’au Rojava, la région kurde autonome du nord de la Syrie, pour rejoindre les YPJ – la branche féminine des Unités de protection du peuple (YPG). Sa première nuit sur le front a été traumatisante.

Elle patrouillait le long des positions kurdes aux côtés d’un combattant étranger venu de Suède. Il régnait ce soir-là un silence de mort sur Kobané, seulement rompu de temps à autre par les aboiements d’un chien abandonné dans une cour déserte. La ville n’était pas fantôme, elle retenait son souffle. Ceux qui n’avaient pas fui se terraient en silence derrière les murs en parpaings de leur maison, priant pour que la paix revienne avant qu’ils ne s’effondrent, comme d’autres avant eux. Daech avait lancé une première offensive massive sur la ville kurde le 13 septembre, ses tanks et sa chair à canon donnant l’assaut avec sauvagerie contre les forces des YPG. En un mois, la résistance avait ployé sous les attaques répétées des djihadistes, cédant quartier après quartier à l’ennemi.

Mais du sang neuf est venu à la rescousse depuis le Kurdistan irakien, leurs convois soulevant des nuages de poussière dans les paysages arides qui s’étendent entre les deux pays. À bord des véhicules s’entassaient des combattants majoritairement kurdes et yézidis, hommes et femmes, impatients de venger la mort de leurs proches et de défendre leurs terres. À leurs côtés, d’autres combattants venaient de toute l’Europe, de Tchétchénie ou des États-Unis. Joanna était parmi eux. À la fin du mois d’octobre, les YPG avaient repris le contrôle de près de la moitié de la ville.

À son arrivée à Kobané, l’équilibre des forces commençait à s’inverser, mais la vigilance était plus que jamais de mise. Joanna en était consciente et lorsque son binôme s’est allumé une cigarette, elle l’a prié de l’éteindre pour ne pas risquer de trahir leur position. Le Suédois ne l’a pas prise au sérieux et lui a souri dans le noir. Il souriait encore lorsque la balle s’est logée entre ses deux yeux. Un sniper de l’État islamique avait repéré le bout incandescent de la cigarette et la fumée qui s’en échappait, prenant pour cible le duo en patrouille. Joanna se souvient que la cigarette se consumait encore tandis qu’elle traînait à l’abri le cadavre de son compagnon, maculant de sang son nouvel uniforme des YPJ. « Je lui avais dit de ne pas fumer sur le front », se souvient-elle. « Moi non plus je ne prenais pas trop au sérieux cette mise en garde avant d’arriver ici, mais après la première attaque, je l’ai prise très au sérieux. »

Ce souvenir est revenu la hanter deux ans plus tard, tandis que le sommeil la fuyait dans sa cellule de Vestre Fængsel, la plus grande prison du Danemark.

II.La patience

Joanna Palani avait neuf ans la première fois qu’elle a tiré au fusil. C’était en Finlande, avec son père. Il lui a montré patiemment comment tenir l’arme convenablement, plaçant sa main gauche au milieu du fût et la droite autour de la poignée de l’arme, l’index tendu contre le pontet – pas autour de la détente. Le contact frais du bois contre sa joue, la crosse posée au creux de son épaule, elle se rappelle de tout. Une paupière close, elle a retenu son souffle au moment de tirer. La puissance du recul l’a surprise. Elle a voulu recommencer. « C’est devenu une obsession », dit-elle. « Il est très courant pour les Kurdes d’apprendre le maniement des armes à un jeune âge. »

Son père et son grand-père faisaient partie des peshmergas, les soldats qui assurent la défense de la région autonome du Kurdistan irakien. Tous deux avaient combattu les forces de Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe. Joanna est née en 1993 dans un camp de réfugiés des Nations unies à Ramadi, dans le sud de l’Irak. Le couple kurde iranien avait dû tout quitter pour espérer survivre. Quand la famille s’est envolée pour le Danemark, Joanna avait trois ans. Elle a grandi à Copenhague, où elle a plus tard fait des études de politique et de philosophie à l’université.

Elle avait 21 ans lorsque l’écho des premières exactions de l’État islamique en Irak lui est parvenu. Les exécutions sommaires, les villages rasés, la torture et les viols infligés aux jeunes filles yézidies. Son sang n’a fait qu’un tour : elle a abandonné sa vie d’étudiante et pris un aller simple pour Erbil, afin de rejoindre la résistance – elle effectuait des visites dans le pays depuis sa majorité.

« Je suis allée au Kurdistan pour me battre pour les droits des femmes et la démocratie, pour les valeurs européennes que j’ai apprises en grandissant au Danemark », se justifie-t-elle.

Et il est nécessaire qu’elle se justifie, car trois jours après son retour au Danemark en septembre 2015, elle a reçu un email du PET, le service de renseignements danois. La police l’informait que son passeport n’était plus valide et qu’elle avait l’interdiction de quitter le pays pour les 12 mois à venir. Joanna revenait d’un an de guerre au Kurdistan, durant lesquels elle avait servi d’après ses dires six mois au sein des YPJ et six mois dans les rangs des peshmergas. Entre-temps, elle était devenue instructrice et sniper. L’armée kurde lui avait donné 15 jours de permission pour qu’elle puisse rendre visite à sa famille au Danemark. Mais les autorités danoises ont sévi, en vertu des nouvelles lois de lutte contre le terrorisme, mises en application à la fin de l’année 2014 : il était interdit aux ressortissants danois d’aller combattre en Syrie.

Son histoire a fait la une des journaux au Danemark et attiré l’attention des médias internationaux. Dans les interviews qu’elle a données à l’époque, elle répétait combien il était injuste qu’on lui reproche d’être allée combattre l’État islamique aux côtés des Kurdes. « Si le Danemark était attaqué un jour, j’irais sans hésiter sur le front avec un drapeau danois autour des épaules », affirme-t-elle. « Mais j’ai de la famille kurde, et pour le moment ce sont les Kurdes qui sont attaqués par des islamistes sans cervelle. » Elle a joint les actes aux paroles en juin 2016, en reprenant l’avion à la première opportunité.

Officiellement, elle s’est rendue au Qatar, à Doha, mais son compte Instagram laisse penser qu’elle a passé tout l’été au Rojava au sein d’une unité de snipers des YPJ, sur le front de Manbij. Entre avril et mai 2016, elle a documenté ses entraînements réguliers au tir en perspective des combats de l’été. Elle y a exprimé sa fierté d’être sniper et décrit sa mission avec intensité.

Allongée à plat ventre sur le toit d’un bâtiment contrôlé par son unité, Joanna fait le vide et plonge dans un état de concentration et de calme profonds. Tapie sous des couvertures, elle se camoufle à la vue de l’ennemi et demeure immobile pendant des heures. Cette patience infinie n’est rompue que par une vive pression de son index sur la détente de la Dragounov. Au loin, une silhouette brune s’effondre. Un sourire étire ses lèvres. Sa récompense.

À la fin de l’été, après une intense campagne au cours de laquelle elle a vu mourir nombre de ses camarades, elle est rentrée une fois de plus au Danemark. Son absence n’était pas passée inaperçue...

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