Autolib’ : chronique d’une déconfiture

Economie
 

Sièges souillés, habitacles empestant la cigarette, ailes enfoncées, et puis ce contrat mal ficelé, l’appétit d’ogre de Bolloré, la concurrence d’Uber… De nombreuses raisons ont été invoquées pour expliquer la pitoyable déconfiture d’Autolib’ à Paris et en région parisienne, confirmée le 15 juin par Catherine Baratti-Elbaz, élue PS de Paris et président du Syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole. Mais derrière tout cela, il y eut aussi, dès le départ, des erreurs, des croyances, et une technophilie béate.

[Ajout, 18 juin, 10h. Plusieurs commentateurs expliquent que le service leur convient, et en déduisent un peu rapidement qu’il est parfait. Mais ce service n’a pas fait preuve de son efficacité à l’échelle de la métropole, il n’a pas permis de réduire sensiblement le taux de possession automobile, un objectif qui lui était officiellement assigné, et surtout, il coûte très cher. C’est pour cela que Bolloré décide de ne plus payer. Lire la suite pour en savoir plus.]

Retour en arrière. Après sa réélection en 2008, un an après la mise en service de Vélib’, Bertrand Delanoë ne veut pas être seulement le maire du vélo. Il promet aux Parisiens un service de voitures partagées. Le maire insiste sur le fait qu’il s’agira bien de voitures, « quatre places et un coffre », et qu’elles seront impérativement électriques. Au même moment, ça tombe bien, le groupe Bolloré veut tester sa technique de batteries au lithium-polymère à grande échelle. Paris parvient à convaincre plusieurs dizaines de communes de sa périphérie de participer à l’aventure. Le service est inauguré en grande pompe en décembre 2011. Seuls les écologistes, à l’époque, se positionnent contre.

A une période de son existence, Autolib’ s’est constellée de publicités pour tenter de faire baisser le déficit.


Un détail qui a son importance. Et comme on veut être certain que le service sera utilisé, son fonctionnement est calqué sur celui de Vélib’ : l’utilisateur qui emprunte une voiture à une station est libre de la remettre dans n’importe quelle autre. Cette fonction est appelée « one way » ou « trace directe » par les spécialistes. C’est un détail, mais qui explique en partie comment on en est arrivé là.

Car Autolib’ ne fonctionne pas comme l’autopartage classique. Pour mémoire, l’autopartage est, depuis les années 1970, une idée simple et belle, quoique totalement marginale : partager une voiture entre plusieurs familles, voisins ou amis. Chacun utilise le même véhicule à tour de rôle, quand il en a besoin, le samedi après-midi pour aller chercher un enfant, le mardi matin pour un rendez-vous professionnel dans un endroit non desservi par les transports, le vendredi soir pour aller au théâtre. Le service s’est progressivement structuré, s’organisant sous forme de coopératives.

De nos jours, Communauto, à Paris, et le réseau Citiz, dans 90 villes en France, en sont ses héritiers. Ces voitures doivent, contrairement aux Autolibs, donc, être remisées à la même station, on appelle ça « en boucle », ou dans un même périmètre, c’est le « free floating », un système qui n’avait pas encore été testé en France en 2011.

Des voitures du réseau Citiz, à Strasbourg


Ce détail, « one way » ou « en boucle », implique qu’on n’utilise pas la voiture de la même manière. L’autopartage « en boucle » se révèle utile quand les autres moyens de transport, métro, RER, vélo, taxi, ne suffisent plus. C’est un service supplémentaire. Y adhérer permet de ne pas posséder de voiture, ou de n’en posséder qu’une seule pour le foyer, au lieu de deux.

Un taxi que l’on conduit soi-même. Être abonné à Autolib’ permet également cet usage. Mais il incite aussi à se servir d’une voiture pour toutes sortes de trajets. On prend la Bluecar pour éviter de descendre dans le métro, parce qu’il pleut, ou juste pour le plaisir de conduire. C’est un taxi que l’on conduit soi-même. Autrement dit, là où l’autopartage « en boucle » amène l’adhérent à se passer de voiture, le « one way » l’incite à l’utiliser davantage. Ce constat sera confirmé par les multiples études menées par le cabinet de conseil 6T. En outre, la voiture grise sert principalement à des trajets à l’intérieur de la capitale, et non dans les communes de banlieue, où elle aurait pourtant été plus utile.

Cet usage d’Autolib’ a pu un moment faire sa force : le service a rapidement gagné bien plus d’abonnés que l’autopartage classique, il est vrai délibérément négligé par la Ville de Paris dès l’avènement de la voiture grise. Mais cet usage a aussi constitué une faiblesse. Le taxi que l’on conduit soi-même a davantage subi la concurrence d’Uber et de ses avatars.


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